Ameth, l’ami qui s’en va

AMETH – “Sama waaye” (mon ami), cuistot sénégalais, 28 ans, de N’Dangane à Tambacounda
Ameth

N’Dangane, 1er novembre 2002

Il n’était ni antiquaire, ni piroguier. Il n’avait pas besoin de courir derrière les touristes, et il n’avait rien à vendre. C’était un cuisinier, un simple cuisinier sans emploi, en attente d’un prochain contrat, sur N’Dangane, M’Bour ou ailleurs. Et moi, j’avais besoin de manger… Pas encore suffisamment à l’aise pour partager le thiboudien familial quotidien “chez Moussa”, et pas assez fortuné pour manger deux fois par jour dans un restos à touristes, Ameth est devenu de fait le chef de ma principale cantine, le plus souvent chez Billy (son oncle). Il gérait en professionnel le budget (à la hauteur de mes petits moyens), les courses, la cuisine. On invitait les copains (des Sénégalais ou des toubabs)… Avant le régime thiboudien quotidien qui allait m’attendre par la suite, ce fut pour moi une immersion douce à base de bons petits plats préparés avec tout le talent du grand chef qu’il était.

Le reste du temps, Ameth était là. Disponible, réfléchi, drôle, ouvert à l’échange et à la discussion, il a fort logiquement accompagné mes premières heures sénégalaises.

Tout au long des jours d’octobre qui ont suivi mon arrivée, il était là comme un ami. Avec Philou, il nous a fait visiter Fadiouth, M’Bour et nous a organisé un petit basket sur le playground de Dioffior.

Ameth au tir

Il m’a guidé dans le village et m’a présenté aux autochtones. Il m’a donné les codes pour vivre en bonne société dès le rendez-vous matinal du café touba. Il m’a aidé à comprendre la condition des antiquaires, et à reconnaitre les toubabs à éviter. Au volant de Titine – (“Mais tu sais, je n’ai même pas le permis !”) – il m’a appris les pièges de la tôle ondulée et des tanns, il m’a fait découvrir les doux chemins sablonneux à travers les petits villages de brousse comme Yayème ou Baboucar…

A N’Dangane, à Joal, à M’Bour, il a guidé mes pas dans les rues et les marchés, à la rencontre de la vraie vie sénégalaise. C’est avec lui que j’ai acheté pour la première fois de la viande de chèvre grillée à la dibiterie (l’endroit où l’on dibite la viande !), dont il a confié les restes à un groupe de jeunes talibés affamés… Au marché de Joal, il m’a montré comment il choisissait les poissons qu’il aimait cuisiner, m’initiant également aux traditionnelles négociations par rapport au cours de la lotte ou du barracudda. Dans sa famille à M’Bour, j’ai compris ce qu’était la Teranga… invité à manger et à partager un repas avec des inconnus alors que je n’avais franchi la porte que depuis cinq secondes !

C’est Ameth qui m’a appris mes premiers mots de wolof, professeur indulgent et patient, répétant les phrases, me les traduisant mot à mot avant de m’en donner la signification…  Lui aussi qui m’a enseigné les premiers rudiments de la tradition sénégalaise, comme lors de ce baptême à Samba Dia auquel je l’avais accompagné.
Bon, il m’a aussi emmené en boite à Saly… pas le meilleur souvenir.

Combien d’heures passées avec lui autour d’un mafé ou d’un poisson grillé préparé par ses soins, autour d’un thé ou d’une bière en soirée ? Pendant un mois complet, nous avons ainsi passé de longs moments ensemble à palabrer, à échanger sur nos différences culturelles, nos croyances religieuses, nos conceptions de la vie, de l’amour, nos souvenirs et nos projets… Ouvert, éclairé, cultivé, drôle, Ameth est au bout du compte l’une des rares personnes avec laquelle je suis entré dans une véritable relation, riche d’échange et de partage sur la durée.

Avec mon pote Ameth, juste avant son départ

Il a été le premier Sénégalais à qui j’ai osé faire confiance, sans me tromper. Un gentleman, un mec bien (“troppe nice”), un ami.

On s’était croisé ce matin-là au rendez-vous matinal quotidien du café touba préparé par Khady, à l’entrée du marché. Ameth avait salué tout le monde, puis m’avait entraîné à l’écart en me disant avec un air grave : « il faut que je te parle. » Nous nous sommes assis sur un petit banc, et il m’a annoncé qu’il venait de trouver du travail. Son ancien patron venait d’ouvrir un nouvel hôtel au Relais de Tamba et avait besoin d’un cuistot. À Tambacounda, au fin fond du Sénégal Oriental, à 500 km et sept heures de Dakar en taxi-brousse, autant dire le bout du monde. « Le patron m’attend, je dois partir demain matin de très bonne heure… »

J’ai vacillé. À peine le temps de le connaitre et de l’apprécier que mon ami s’en allait. Je crois qu’il a senti ma peine, et que ce départ lui coûtait aussi.

J’aurais l’occasion de revoir Ameth au cours de mon année bien sûr, mais sans lui, mon séjour allait fatalement changer de tournure. Finalement, puisqu’à quelque chose malheur est bon, c’est chez Moussa, “en famille”, que j’allais me consoler de son absence, et débuter ma véritable immersion dans la vie sénégalaise.