Fin de périple

Ougadougou (Burkina Faso), 31 mars 2003

…Un proverbe de la tradition africaine dit : “l’ignorant, c’est la personne qui n’est jamais allée au-delà du seuil de sa maison.” C’est la personne qui ne sait rien des autres, qui n’est jamais allée à la rencontre des autres. La progression de l’être vers le meilleur, c’est chaque jour aller à la rencontre d’une des diverses personnes que l’on a en soi et que l’on ne peut trouver que dans les autres, notamment à travers leurs cultures, histoires, mythes et légendes. Cette voie est celle de l’enrichissement, et je suis un élève apprenti. (Sotigui Koyate, griot et homme de théâtre malien)

Ina kouana ! (ça y est, j’ai appris le haoussa !)
Je suis à Ouaga depuis samedi soir, j’ai quitté le Niger avec beaucoup de regret après un séjour intense et inoubliable, bien trop court… L’heure du retour au Sénégal a sonné, mon extraordinaire périple ouest-africain s’achève, dans 48 heures je devrais arriver à Dakar, où je récupèrerai Titine pour rejoindre N’Dangane.

Oui, j’ai quitté le Niger trop vite, un peu frustré de ne pouvoir prolonger mon séjour à l’envi. J’aurais passé 10 jours, seulement 10 jours, mais suffisants pour s’en mettre plein les yeux et plein le coeur, suffisants pour se remplir la tête de souvenirs et d’émotions, suffisants aussi pour faire naître un immense désir de retourner découvrir le pays plus longuement. Une semaine ou deux de plus n’auraient pas été superflues, il y avait encore tant à découvrir dans ce pays fascinant…

Le séjour a commencé en douceur, à Niamey, la capitale. Rien à voir avec les mégalopoles que sont Dakar, Bamako ou Ouaga, Niamey est une petite bourgade paisible où l’on circule assez facilement, où on peut être blanc et déambuler sans se faire interpeller tous les vingt mètres. On y croise des dromadaires dans les rues, en plus des moutons, chèvres, ânes et autres zébus déjà vus ailleurs… C’est ici aussi que j’ai pris contact avec l’association “Aide et Action” (ex-“écoliers du monde”, qui vient de reprendre son nom d’origine). Deux jours après mon arrivée, nous partions pour Goubeye, petit village haoussa dans la brousse, à 300 kilomètres de Niamey.
Habituellement, les parrains qui rendent visite à leur filleul prennent une ou deux journées pour visiter le village, l’école, rencontrer la famille et puis poursuivent leur voyage. Mais moi, j’avais pas traversé l’Afrique jusqu’au Niger pour voir mon filleul une journée… Je voulais passer une semaine dans le village, vivre avec les gens, aller à l’école, connaître vraiment le quotidien de ce village du Sahel où grandit mon filleul ! J’ai expliqué ce que je souhaitais, les gens d’Aide et Action ont été un peu surpris parce qu’ils n’avaient jamais “abandonné” un parrain en plein brousse pendant une semaine. En fait, ils s’inquiétaient pour moi ! Après la première nuit, ils sont revenus voir si tout allait bien et je leur ai dit qu’ils pouvaient rentrer à Niamey sans crainte… et j’ai passé une semaine fabuleuse.

L’accueil, d’abord. Arrivée à l’école en fin de matinée, attendu impatiemment par 300 élèves et leurs 5 enseignants qui me donnent du “Bonne arrivée Monsieur Cyril, soyez le bienvenu à Goubey…” Là, j’ai commencé à ressentir quelque chose de très fort. On me présente mon filleul, autant intimidé que moi par cette drôle de rencontre, un p’tit tour des classes, puis repas sous les acacias avec les enseignants, sous l’oeil curieux de dizaine d’élèves intrigués par ma présence et pas pressés de rentrer chez eux… En fin d’après-midi, petit spectacle improvisé, match de foot, danses et combats de lutte. Et après, on est vraiment rentrés dans le village. A Semaga, les concessions sont disséminées dans la brousse mais à Goubey, il y a un vrai “centre village”, avec des rues sablonneuses et des concessions tout autour de la mosquée… Alors, quand un blanc traverse le village, il ne passe pas inaperçu, surtout quand il est accompagné d’une délégation (les enseignants et les responsables d’Aide et Action) et suivi par une bonne centaine de gamins amusés ! Les gens de Goubey étaient ravis que je souhaite m’installer dans le village pour plusieurs jours, ils m’ont très vite trouvé une maison d’accueil inhabitée, installé à la hâte quelques nattes sur le sol sablonneux, un matelas, quelques chaises, une petite table et un seau pour la douche… et j’étais chez moi : une grande maison avec une grande cour, pour moi tout seul ! Il fallait bien ça remarquez, parce que pendant six jours j’ai eu au moins 200 visites par jour…

C’était probablement la première fois qu’un blanc venait habiter à Goubey, ce qui n’a pas manqué de susciter la curiosité des petits et des grands. C’est simple, j’ai jamais été seul une minute. Le premier jour quand j’ai posé mes affaires et que les adultes m’ont laissé pour que je me repose, j’avais vingt gamins à la porte qui observaient le moindre de mes mouvements, une dizaine d’autres en train de regarder à travers les fenêtres et sans doute une bonne cinquantaine d’autres en train d’attendre leur tour dans la cour… plus tous ceux qui n’osaient pas rentrer et qui regardaient par-dessus le mur ! J’ai pas voulu les mettre dehors parce que ça m’amusait moi aussi, mais bonjour l’intimité… il n’y a que dans la douche que j’étais à l’abri du moindre regard, enfin je crois !

Six jours ont passé comme ça. Manque de bol, c’était la semaine de vacances scolaires donc je n’ai pas été en classe, mais j’ai passé mes journées avec les enseignants, parcourant les rues, salué par tout le monde, visitant aussi (en charrette “deux-boeufs” !) les villages, les écoles et les marchés alentour… J’ai même eu droit à une fête en mon honneur avec la troupe de tam-tam et les danses des jeunes du village, il y avait bien 400 ou 500 personnes, c’était assez énorme. Lorsque j’étais à la maison, les anciens passaient me saluer, la mère de mon filleul m’apportait mon pot de lait caillé chaque matin, les enseignants venaient partager mes repas ainsi que le père de mon filleul, et puis il y avait ces dizaines de gamins qui accompagnaient en permanence mes heures et mes pas. Dès que j’ouvrais les yeux le matin, il y en avait toujours cinq ou six qui guettaient mon réveil, y’avait jamais moins de dix gamins avec moi du matin au soir. Quand j’allais m’assoir dans la cour, ils venaient s’assoir autour de moi, me fixaient en silence et comme la plupart ne maîtrisent pas très bien le français, c’était un peu dur de communiquer. Alors ? Je leur ai demandé de chanter… Quelques-uns ont commencé, timidement.  Et puis on a démarré la chorale, j’ai épuisé tout mon répertoire de chansons où les enfants répètent chaque phrase (“Rikitakatumba…”, “ma doudou”… Au fait Pipo, “Oyéyé macumba yé” est devenu un tube à Goubey !) et je me suis éclaté. Parce que plus les enfants chantaient, plus la cour se remplissait, je pense qu’on est monté jusqu’à 150 mômes ! Après, c’est évidemment devenu un jeu, un rituel qu’ils attendaient, qu’ils réclamaient.

Séjour marquant aussi, parce j’ai pu constater sur le terrain tout le boulot que fait Aide et Action, construction de classes, apport de matériel, journées de formation pédagogiques pour les enseignants, réalisations de puits et surtout, plus important sans doute, responsabilisation des communautés pour assurer la pérennité de l’action… Il y a encore beaucoup à faire mais Aide et Action a vraiment amélioré la vie des écoles et des villages où ils sont passés. Je suis parrain depuis 7 ans et aujourd’huij’ai la certitude que mon argent est bien utilisé, je vais continuer bien sûr et si l’aventure vous tente : www.aide-et-action.org.
Au passage, vous savez combien coûte un missile Tomawahk comme ceux qui tombent actuellement en Irak ? 1,4 millions de dollars l’unité ! Avec ça, Aide et Action pourrait construire 30 classes équipées au Niger et accueillir 1500 élèves supplémentaires, dans un pays où le taux de scolarisation n’est que de 34 %… sans commentaires.

A part ça il a fait extrêmement chaud… Le Sahel, c’est sec, c’est aride au possible et c’est vraiment pas le coin rêvé pour vivre, mais c’est super beau ! La terre est rouge, ocre, beige, l’herbe plus jaune que verte, les petits arbres sont tout grillés et racornis, seuls dominent les grands gawos majestueux. J’ai regretté de tomber en rade de pellicules, mais de toutes façons je reviendrai, je dois aller voir Agadès et me perdre dans le désert du Ténéré !

Bon, j’arrête de vous saoûler… C’était “Monsieur Cyril” en direct de Ouaga, rendez-vous en Sénégaule, à vous les studios.

@+
Cy-real