Ailleurs et autrement (introduction)

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Ce pourquoi l’on s’incline

A l’aube de mes trente ans, après trois ans d’enseignement, sans véritables contraintes tant personnelles que professionnelles, en phase avec mes aspirations profondes et animé d’une véritable envie de faire bouger mon existence, je décidais d’entreprendre le voyage de ma vie : partir, pendant un an, loin de mes repères et de mes attaches, mettre en parenthèses ma petite vie de jeune instit’ célibataire pour aller vibrer sous d’autres latitudes. Un seul leitmotiv : vivre, pendant un an, ailleurs et autrement.

Ailleurs, pour bouger et partir loin, longtemps, changer d’environnement, aller au bout d’un grand rêve.
Ailleurs, parce que la beauté, la richesse et la diversité du monde ne cessent de m’attirer en d’autres contrées à la rencontres d’autres décors, d’autres paysages, d’autres ambiances.
Ailleurs surtout, pour m’ouvrir le coeur et l’esprit au contact d’autres vies, d’autres coeurs, d’autres âmes, d’autres cultures, d’autres modes de pensée… et aller au-delà de ces différences qui font les rencontres.

Autrement, pour élargir mon univers, remettre profondément en question ma petite vie française bien rangée, mes repères, mes habitudes, et prendre conscience de ma chance d’être né sous une latitude clémente.
Autrement aussi, pour prendre le temps de respirer, de contempler et de “sucer la moelle secrète de la vie”…
Autrement, parce que c’est le seul moyen de plonger dans la réalité d’une autre civilisation et d’apprendre à partager le quotidien de ses habitants, élément essentiel d’un voyage réussi.

Partir ! Aller n’importe où, vers le ciel ou vers la mer, vers la montagne ou vers la plaine !
Partir ! Aller n’importe où, vers le travail, vers la beauté ou vers l’amour !
Mais que ce soit avec une âme pleine de rêves et de lumières, avec une âme pleine de bonté, de force et de pardon ! S’habiller de courage et d’espoir, et partir, malgré les matins glacés, les midis de feu, les soirs sans étoiles, raccommoder, s’il le faut, nos coeurs comme des voiles trouées, arrachées au mât des bateaux, mais partir ! Aller n’importe où et malgré tout !
… accomplir une oeuvre ! Et que l’oeuvre choisie soit belle, et qu’on y mette tout son coeur, et qu’on lui donne toute sa vie. (Cécile Chabot, extrait de Poésie Manège d’étoiles)

“Ailleurs”, ce ne pouvait être qu’en Afrique, où je vivrais forcément “autrement”… Oui, si je devais partir, il fallait que ce soit pour aller voir sur les terres africaines ce qu’il s’y passe, au plus près de la difficile réalité de ce continent, comme une intime évidence.

Rêve de gosse et envies adultes

Pourquoi l’Afrique ? Il faut sans doute remonter à des rêves d’enfance, nés très tôt avec “Tintin au Congo”, “King Kong”, les “Tarzan” avec Johnnny Weissmuller et un peu plus tard, avec “Le petit Prince” de St Exupéry puis “L’alchimiste” de Paolo Coelho… J’avais en moi depuis toujours cette image onirique et fantasmagorique de l’Afrique brute, sauvage, difficile, et de ses paysages, la brousse, la jungle, le désert…”beau comme on n’imagine pas” !

Tout est neuf et tout est sauvage
Libre continent sans grillage
Beau comme on n’imagine pas
Ici même nos rêves sont étroits
C’est pour ça que j’irai là-bas
On ne m’a pas laissé le choix
Je me perds si je reste là
C’est pour ça que j’irai là-bas…
(Jean-Jacques Goldman)

J’avais aussi été très tôt sensibilisé aux difficultés des conditions de vie sur le continent africain, ayant grandi dans un environnement familial tourné vers l’engagement associatif, la solidarité et l’aide humanitaire, impliqué dans de multiples causes, notamment en Afrique ; c’est donc presque naturellement que parvenu à l’âge adulte, j’avais apporté ma modeste contribution financière à une association. Et puis, en tant qu’enseignant, je rêvais depuis longtemps de découvrir l’école africaine, son organisation, son fonctionnement et ses difficultés…

Alors l’Afrique, c’était à la fois un moyen de réaliser un rêve de gosse et de rejoindre mes envies adultes, de voyage bien sûr, mais aussi d’engagement associatif et d’action sur le terrain… J’étais fasciné par tout ce que ce continent représentait. L’envie de partir était en moi depuis très longtemps mais il manquait encore l’élément déclencheur, le projet-détonateur qui allait m’ouvrir en grand les portes de mon rêve.

Flash au Sénégal

Le détonateur, c’est la rencontre de ces deux éléments – l’Afrique et l’action humanitaire – au cours de mon premier vrai voyage sur le continent africain, un banal séjour touristique au Sénégal, en juillet 2001. C’est la rencontre, dans un village de la brousse sénégalaise, avec une jeune enseignante française (coucou Laure !) à l’origine d’un projet éducatif d’aide au développement, pour lequel elle était venue passer onze mois sur place avec deux amies un an plus tôt… Échange. Flash. “Cette rencontre ne manque pas de titiller un peu plus mes envies d’engagement et d’action éducative en Afrique…” écrivais-je dans mon carnet de voyage de l’époque, qui se terminait par ces mots :

J’ai adoré ce premier contact avec le continent africain, et ces deux semaines sénégalaises m’ont emballé de bout en bout. Mais j’ai le sentiment d’avoir encore tout à vivre dans ce pays, dans cette partie du monde si différente – et si riche de sa différence. Je rêve d’une autre découverte de l’Afrique, d’un autre voyage, d’un autre regard… de n’être plus simple visiteur.
J’ai très envie de revenir ici, autrement. Et je reviendrai…
(Cyril le toubab, carnet de voyage Sénégal 2001)

Trois mois plus tard, rentré en France, j’adhérais à l’association (Jángalekat – Pour un coup de pouce à l’école sénégalaise), dont je devenais membre actif… Au bout de six mois, je faisais part aux membres de l’association de mon intention d’aller à mon tour passer plusieurs mois sur le terrain, bénévolement, pour apporter ma pierre à l’édifice… projet qui devenait réalité en septembre 2002, après avoir obtenu ma mise en disponibilité de l’Education Nationale, pour un an.

Heureuse “synchronicité” que ce premier voyage au Sénégal et cette rencontre, survenant dans mon existence à un moment idéal. Parvenu à une période de ma vie où rêver et envisager ne me suffisaient plus, j’avais besoin de donner corps à mes projets, à mes envies ! Et comme rien ne me retenait vraiment…

Tous les samedis j’vais danser à Pigalle
Mais j’crois bien que je vais me faire la malle
Dans un pays où chantent les cigales
J’vais aller m’éclater au Sénégal !…
Je vais me faire des tas de copines… de ch’ val
Et j’irai prendre un bain de minuit… à poil sous la lune
Je danserai au son des tam-tams woodstock…
(Martin Circus)

Voir l’Afrique…

Je prévoyais dès lors de passer les quatre premiers mois de mon année au Sénégal, pour consolider l’action de l’association Jángalekat sur le terrain en collaborant avec les animateurs locaux. Mais je n’avais pas l’intention de passer mon année sabbatique au Sénégal, je voulais aussi profiter de ma liberté pour voir l’Afrique, l’Afrique sauvage, démunie, généreuse, difficile, authentique, je voulais voyager, bouger, découvrir d’autres projets, rencontrer d’autres acteurs, me confronter aux multiples visages de ce continent ! Mes rêves d’Afrique ne pouvaient se limiter à un pays…

J’avais des contacts au Burkina Faso, les danseurs et musiciens d’une troupe folklorique (la troupe Saaba) qui viennent depuis des années en tournée dans mon village, et j’étais l’un des seuls de ma famille à n’être pas encore allé là-bas. Je parrainais aussi, depuis plusieurs années, un écolier d’un petit village du Niger avec l’association Aide et Action, en correspondant régulièrement avec lui par courrier. Je rêvais du Mali et du pays Dogon…

Je sortais une carte d’Afrique, pour constater que ces quatre pays étant frontaliers les uns des autres, il n’était pas très compliqué de réaliser un sympathique périple ouest-africain, que je ne tardais pas à échafauder à l’aide du “Guide du Routard Afrique noire” qui les décrivait un à un, et de récits virtuels trouvés sur le web… L’aventure avait déjà commencé, je me voyais déjà parcourir des kilomètres de piste en taxis-brousse au milieu des autochtones ou prendre la ligne de train mythique entre Dakar et Bamako !
Dés lors, je ne cessais de faire ce voyage en rêve, au cours des mois qui me séparaient encore du départ.

Et puis, pour ajouter du rêve au rêve, de l’aventure à l’aventure, et donner une dimension “totale” à mes envies de baroudage, je décidais d’entreprendre un voyage avant le voyage en choisissant de gagner le continent africain par la route, pour rejoindre le Sénégal via le Maroc et le désert mauritanien au terme d’un périple de plus de 6000 kilomètres. C’est mon ami Philippe alias “Philou” qui allait me permettre de concrétiser cette première partie de mon année africaine, en m’accompagnant dans cette aventure de deux semaines, qui allaient se révéler merveilleuses et extraordinaires.

Tous les éléments me paraissaient alors réunis pour vivre l’année la plus enrichissante de mon existence : l’opportunité d’agir à travers un projet d’aide au développement, la perspective de multiples rencontres et de multiples découvertes au fil de mon périple africain, et surtout une énorme envie de tout vivre et d’aller au bout de cette aventure, au bout de mon rêve, comme un immense besoin de me redécouvrir dans un autre environnement.

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Florent Pagny - Terre
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Ici, la nuit
Me ramène à qui je suis
Cette douceur, chaleur
Me renvoient dans une autre vie
Je commence à comprendre…
Je connais ces terres, j’ai foulé ces pierres
J’y suis déjà venu et j’y ai vécu
Une sensation franche, cette lumière blanche
J’ai enfin trouvé la paix que je cherchais…»
(Florent Pagny)

Expérience humanitaire, aventure humaine, voyage initiatique : ces trois dimensions donnaient tout leur sens à mon projet. Je partais libre, serein et enthousiaste, avec en tête ce proverbe africain : “une calebasse pleine ne peut accueillir l’eau fraîche…”

Je vous emmène à la découverte de l’Afrique que j’ai rencontrée, “Sama Africa”… Mon Afrique !

Cy-real, août 2003

@ lire aussi en guise de préambule :
Ce pourquoi l’on s’incline

Le récit de mon année africaine, en perpétuel cours d’écriture…