Dakar (Sénégal), 4 juillet 2003
J’ai vécu en Afrique pendant des années. J’ai sillonné le continent, évitant les itinéraires officiels, les palais, les personnalités importantes et la grande politique. J’ai préféré me déplacer en camion de fortune, courir le désert avec des nomades, être l’hôte de paysans de la savane tropicale. Leur vie est une peine, un tourment qu’ils supportent avec une endurance et une sérénité stupéfiantes (…).
Ce continent est trop vaste pour être décrit. C’est un véritable océan, une planète à part, un cosmos hétérogène et immensément riche. Nous disons “Afrique”, mais c’est une simplification sommaire, une facilité. En réalité, à part la notion géographique, l’Afrique n’existe pas. (Ryszard Kapuscinski, reporter polonais, préambule de son fabuleux récit « Ebène – aventures africaines »)
Salut les toubabs ! Il m’est arrivé un truc… incroyable ! ça s’est passé il y a deux semaines, dans le train qui m’emmenait à Tamba. J’ai raté l’arrêt ! ! J’ai pas fait exprès, je dormais, quand je me suis réveillé, j’étais à Bamako, au Mali, terminus du train ! ! ! !
Bon, c’est pas vrai, j’ai fait un peu exprès… J’avais une bonne excuse, c’est que mon visa sénégalais arrivait à son terme et que si je n’avais pas franchi une frontière au 2 juillet, j’étais susceptible d’être expulsé vers la France. Ne souriez pas, ça vient d’arriver à une dizaine de Français en situation irrégulière (bon, c’était pas des citoyens irréprochables comme moi, z’ont été expulsés pour de bonnes raisons, enfin je crois…)
Mais la vraie raison de ce nouveau raid transafricain, outre le fait que j’avais super envie de tailler la zone et de revoir le Mali, c’est que je voulais emprunter cette mythique ligne de chemin de fer qui relie Dakar à Bamako dans son intégralité, trajet que je n’avais pu réaliser en février dernier (je n’avais effectué en train que le dernier tiers). Après avoir fait le tour de la question et des problèmes de distance à parcourir, de temps, de finances, j’ai fini par me dire que ce n’était pas très raisonnable… alors j’ai couru retirer mon visa et j’ai réservé mon billet
Quel voyage… non mais quel voyage ! ! Le train devait partir à midi, on a déjà quitté Dakar avec 2h30 de retard. On est arrrivé à Bamako… deux jours plus tard, après 45 heures de trajet et deux nuits complètes passées dans le train. Attention, j’ai pas voyagé en couchettes, trop cher, j’étais en deuxième classe, la vraie, celle où il se passe le plus de choses… Je crois que j’ai vécu là le trajet le plus inconfortable de toute mon année africaine, j’ai très mal dormi la première nuit, un peu mieux la seconde, on s’habitue à tout ! Très difficile de résumer ces 45 heures en quelques lignes, j’ai gratté quelques pages dans le train pour ne rien oublier de cette incroyable aventure. J’ai largement pris le temps d’admirer les paysages d’Afrique (+ de 1200 km), je me suis régalé des mets locaux à toutes les gares (beignets, sandwichs, viande grillée, ignames bouillis, jus de bissap, mangues…), j’ai encore sorti l’appareil photo et le magnéto pour essayer de capter un peu de ces incroyables ambiances de gares, la foule, les couleurs, l’agitation, les cris… Et puis quand on passe 45 heures dans un wagon, ça crée des liens ! Un arrêt prolongé dans une gare, un incident technique, une simple salutation, toutes les occasions sont bonnes pour entamer la discussion avec les africains, qui sont les premiers à venir partager avec les beignets ou les fruits qu’ils viennent d’acheter. Trop fort…
Trop forte l’arrivée à Bamako aussi, sur le coup de midi comme la première fois. Si on me demandait d’ailleurs de restituer une image de cette ville, ce serait ça : la sortie de la gare à midi, l’arrivée dans une rue inondée de soleil, un va-et-vient incessant de taxis jaunes, de minibus verts, des dizaines de gens qui se croisent et se recroisent sur des trottoirs encombrés de mille étalages, une myriade de couleurs, de bruits, d’odeurs, et de la lumière, partout. Le même éblouissement que quatre mois plus tôt, Bamako est une ville incroyabement animée – et accueillante.
J’ai retrouvé avec joie mes amis de la famille Touré, mais je ne suis resté qu’une petite nuit à Bamako. J’avais envie d’aller encore plus loin, au bout de mon rêve, un rêve qui commence par la lettre T…
…Tombouctou !
Le rêve restera un rêve, cette cité mythique aux portes du désert a gardé cette fois encore ses secrets. C’est vraiment le bout du monde cette ville, pour l’atteindre il faut soit beaucoup de temps (entre 3 et 7 jours de pirogue au départ de Mopti), soit beaucoup d’argent (on m’a proposé un aller à 700 francs pour rallier Tombouctou en 4×4 en 12 heures au départ de Mopti). Comme je n’avais ni l’un ni l’autre, j’ai dû renoncer (partie remise !). En guise de consolation, je me suis offert une journée à la découverte de sa « jumelle », Djenné, considérée par beaucoup comme la plus belle ville du Mali. Une journée mémorable, comme un incroyable condensé de tous les meilleurs moments de mon année africaine !
Ça a commencé à 7 heures du matin, à l’angle d’une rue de Mopti, lorsque j’ai posé mes bagages près d’une dame qui vendait des beignets. Un peu surprise de voir un touriste dans ce coin de la ville (bon, je me suis un peu perdu en cherchant la gare routière…), et ses trois mômes complètement hilares qui répétaient « toubabou ! ». J’ai acheté mon petit sac de beignets, traversé la moitié de la ville accompagné par des gamins qui se relayaient pour me tenir la main. Enfin à la gare routière, je réserve ma place dans le premier bâché en partance pour Djenné et je vais boire mon café sous la paillote, saluant les autochtones déjà là, toujours un peu amusés, assis sur un banc bancal, autour d’une table parsemée de mouches. J’adore ces petits déjeuners partagés au coin de la rue avec les gens sur un étal de bric et de broc. Très peu de mots échangés, un verre de café au lait, un pain avec du beurre, rien qu’un sentiment de plénitude. « Merci, bonne journée… »
Il a bien fallu 1h30 avant que la bâchée ne soit déclarée complète et donc prête à partir. Je crois que j’ai vécu là le trajet le plus inconfortable de toute mon année africaine, assis sur une demi-fesse en croisant les jambes au milieu de 18 autres passagers tous compressés – et pas un pour s’en plaindre ! A côté de moi, un touriste canadien d’environ 50 ans avec un accent à couper au couteau, en voyage avec sa femme, s’amuse. Il voyage depuis plus de 30 ans, il en a vu d’autres. Un gars incroyable, qui a fait le tour du monde à 25 ans en 27 mois avec 3 dollars par jour (c’est possible ?!), parcourant plus de 100 pays. Bref, pendant les deux heures de trajet, je n’ai pas simplement voyagé de Mopti à Djenné, j’ai visité la Patagonie, l’Inde, l’Europe de l’Est, le grand nord canadien, la Tanzanie. On s’est séparé à Djenné, chacun son guide et chacun « chez soi » ou plutôt « chez l’habitant ».
Moins de cinq minutes après mon arrivée, je posais mes bagages chez Badou alias « The boss », un guide recruté au feeling, qui me paraissait sérieux et sympa à la fois. On a mangé, pris le thé, et puis on s’est rapidement mis d’accord sur un tarif tout compris, repas, visite guidée, nuitée. Djenné est une ville exceptionnellement belle, toutes les habitations sont à base de matériaux traditionnels (bois, banco) ; c’est aussi un carrefour ethnique, une cité chargée d’histoire et de culture, ce que Badou a parfaitement su me faire partager. Avec Fès, c’est l’une des plus belles villes qu’il m’ait été donné de visiter à ce jour. J’ai aussi eu droit à mon petit tour de « mobylette-brousse » (ça faisait longtemps que je ne m’étais pas tanné le derrière sur un porte-bagages !) pour aller découvrir un petit village des environs. Retour à Djenné, séance de thé, et puis comme aux plus belles heures de ma balade en pays Dogon, douche au seau, repas en famille et nuit sur le toit sous les étoiles ! Journée magique…
Bon, la journée du lendemain a été nettement moins magique, lorsqu’il a fallu grimper dans le minicar bondé pour effectuer les 550 kilomètres qui me séparaient de Bamako. Je crois que j’ai vécu là le trajet le plus inconfortable de toute mon année africaine, espace vital réduit au minimum, une place de 40 centimètres sur 40, plus de dix heures de parcours et une seule pause à mi course pour dégourdir les jambes. A ce moment-là, je commençais à prendre des crampes au niveau des fessiers, je ne pouvais pas étendre les jambes c’était terrible ! Pour une fois, pas vraiment grave en cannes.
Je me suis donné une journée de répit à Bamako pour récupérer, retournant chez les Touré, à la cité ministérielle. Et c’est là que j’ai appris un truc ! Je savais que le père, M. Bassary Touré, travaillait au Ministère des Finances. Ce que je n’avais pas compris, c’est que c’était LE ministre de l’économie et des finances du Mali (entre 2002 et 2004). J’ai encore beaucoup apprécié les instants passés avec cette famille formidable (enfin le ministre je ne sais pas, aperçu deux minutes juste le temps de dire bonjour, vous savez ce que c’est, un emploi du temps de ministre !). En tout cas c’est clair, j’adore Bamako et j’ai déjà été invité à y revenir.
Mais c’est quand même du délire ce voyage ! ! Pendant deux nuits je me retrouve plié en quatre en plein courant d’air dans un wagon de seconde classe, le lendemain je dors chez un ministre sous moustiquaire en chambre climatisée dans des draps propres et frais, le surlendemain sur un toit en terrasse à Djenné à contempler les étoiles. Et le pire, c’est que je me sens bien partout. Je pourrais faire le faux snob, dire que je me sens mieux dans un train de seconde classe que dans une chambre de ministre mais non, c’est pas vrai, j’ai vraiment apprécié les deux !
Tout a une fin, j’avais aussi promis à mon ami Ameth de passer quelques jours avec lui à Tambacounda, au sud-est du Sénégal. J’ai donc quitté le Mali (à bientôt !) et repris le train pour Tamba au départ de Bamako. 27 heures de rail « seulement », mais je crois que j’ai vécu là le trajet le plus inconfortable de toute mon année africaine ! Cette fois je n’ai pas voyagé en salle mais en compartiment, et je suis tombé dans un compartiments de fous. Dix voyageurs pour huit places, trois gamin surexcités, et ma voisine d’en face qui achète la moitié des marchandises de la gare au premier arrêt dix minutes après le départ, histoire de bien remplir le compartiment jusqu’à ras-bord. Ah, ma voisine, une ado surgonflée et surgonflante, j’ai eu envie de la passer par dessus-bord une bonne vingtaine de fois. Pendant 27 heures, elle a acheté des trucs dans TOUTES les gares où le train s’est arrêté, appelant, criant, marchandant penchée à la fenêtre. Quand elle s’asseyait, soit elle parlait (très fort), soit elle mangeait (pas étonnant qu’elle soit obèse à 15 ans…), soit elle dormait (et ronflait). Un délice je vous dis. Qu’est-ce que j’étais content de descendre à Tamba !
Content aussi bien sûr de retrouver mon ami Ameth, un sénégalais hors normes, le dessus du panier, à l’instar de mon ami dakarois Amath. Un gars qui maîtrise parfaitement le langage des toubabs qu’on lui a appris avec Philou (« je suis grave en cannes ! »). Par contre, je suis pas sûr qu’il a bien fait d’acheter à Tamba, parce que c’est sûrement la ville la plus morte et la plus ennuyeuse qui doit exister en Afrique ! Il y fait très chaud et il n’y a absolument rien à y faire (comprendre : il n’y a pas de cyber…) Vraiment, j’ai bien fait d’aller au Mali parce que je me voyais mal passer plus de 3 jours à Tamba sans péter un câble. J’ai pris le taxi-brousse hier pour rentrer sur Dakar, et j’ai vécu là le trajet le plus inconfortable de toute mon année africaine ! En 505 break, dans le coffre, sur la banquette rajoutée, celle qui est fortement déconseillée aux voyageurs de plus d’1,80 m. Enfin banquette c’est un grand mot, des barres de fer en long avec un peu de mousse et de tissu pour couvrir le tout. Pas confortable pour mon arrière-train décidément mis à rude épreuve, ni pour mes genoux solidement encastrés dans le dossier de la banquette de devant, ni pour mon cou plié en trois. Allez, 7h30 de route comme ça c’est rien !
Alors me voici de retour à Dakar, enthousiasmé par ces deux semaines très exceptionnelles. Un peu fatigué quand même, mais j’en ai pris plein les yeux, pensez donc ! 4000 kilomètres de paysages africains qui défilent, ça ne s’oublie pas. Ce que je retiens de toutes ces bornes, c’est que pour voyager en Afrique, il vaut mieux ne pas être trop grand, il ne faut pas craindre la promiscuité, il ne faut être ni claustrophobe ni agoraphobe (ni négrophobe !), il ne faut pas être pressé et il faut OUVRIR LES YEUX. Et alors, que le spectacle commence…
Bien à vous les toubabs, profitez de l’été !
Y’a rien là ? !
C’est tout pour aujourd’hui
@+
Cy-real