Vendredi 26 septembre 2002, Chefchaouen-Fès
Et pour ne pas que les fous nous renversent,
On prenait les chemins de traverse
Même s’ils ne sont jamais les plus courts…
(Francis Cabrel)
L’étape : Chefchaouen (Maroc) – Fès (Maroc)
Après quelques heures de sommeil au milieu des montagnes, nous reprenons la route très tôt de nuit. Traversée de Chefchaouen by night, puis re-dodo une heure ou deux jusqu’au lever du jour. Pause petit dej’ au thé dans le premier village, rencontre de Mohamed (n°1) et arrêt prolongé avec une première invitation à la maison… Redécollage deux heures plus tard, pause photo avec Abdeslam et nouveau “traquenard” chez Mohamed n°2, encore une heure d’arrêt ! Après un arrêt pique-nique au Bolino dans le calme des montagnes, traversée mouvementée de Ketama/Issaguen, marché, cortège électoral… Arrivée en fin d’après-midi à Fès, installation au camping international, couscous royal au resto “Le marrakech”, cyber… Nuit au camping international de Fès, route de Sefrou.
Kilomètres du jour : 260. Depuis le départ : 2400.
Les SMS du jour
– Cy-real & Philou,13h23 : “Invités tous les cent mètres à manger et à prendre le thé dans les montagnes du Rif, au pays des vendeurs de l’herbe qui rend heureux ! Accueil et sens de l’hospitalité inénarrables ! La route vers Fes est longue mais quel bonheur !…Nous y dormirons ce soir et demain, nous reprendrons la route de Rabat. @+”
– Lolo, 22h36 : ” Malikoum Salam ! Vous FES-ez quoi ? Inch Gaz’ “
– Cy-real & Philou, 22h44 : “Sommes dans un cyber après royal couscous. Journée très exceptionnelle. Philou.”
– Lolo, 22h57 : ” Nous, on vient d’attaquer un Jesus avec du Chablis juste avant la fondue savoyarde. Que du bonheur ! “
L’image
Les montagnes du Rif – Nous avons passé notre première nuit marocaine sous les étoiles, en ne distinguant que les sombres et imposantes silhouettes des montagnes environnantes. Ce n’est qu’au petit matin, après avoir repris la route, qu’elles nous apparaissent dans toute leur splendeur. Sous un ciel tout azur, le soleil réveille la beauté de dame nature et le massif du Rif nous dévoile ses trésors.
Au milieu des rochers, forêts de cèdres, champs d’oliviers… Philou complète ma culture botanique et géologique en me donnant le nom de chacun des arbres et des roches qui bordent la route. De vert, de gris et de brun, les couleurs nous éblouissent, et les pauses photos se multiplient dans un incroyable panorama de 360 °.
Le détour
Ketama – Après un pique-nique au calme, nous entrons dans Ketama (Issaguen), petite bourgade où nous devons bifurquer sur Fès. En ce jour de marché, qu’il est difficile de se frayer un chemin en voiture au milieu de la foule ! Profitant de notre immobilisme, de nombreux vendeurs ambulants nous proposent des bananes, des radio-cassettes, mais le plus souvent c’est une plaquette de chichon qu’on nous met sous le nez… “Non non, no haschich, no haschich !“
Toujours au ralenti, nous nous retrouvons quelques mètres plus loin plantés au beau milieu d’un rassemblement électoral : à trois jours des élections législatives, des militants assurent la campagne de leur candidat en scandant des slogans et en jetant dans les voitures des tracts par dizaines… On nous salue, Titine est secouée, et Philou ironise : “qu’est-ce qu’on a comme amis ici !” Nos copains vendeurs d’herbe insistent encore… Lorsqu’enfin nous sortons de la foule, nouveau bouchon : nous croisons un immense cortège électoral composé de dizaines de véhicules, pare-chocs contre pare-chocs, dans un vacarme incroyable de chants et de coups de klaxons et de tracts volants. Il nous faudra encore de longues minutes avant de pouvoir rouler à une allure décente et retrouver la tranquillité des montagnes…
La rencontre
Les marchands de kif qui s’appellent Mohamed – Qui dit Rif, dit kif : la réputation de la région n’est plus à faire. Nous pénétrons pourtant innocemment dans le triangle infernal (Chefchaouen – Ouazzane – Ketama). Dans le premier village où nous arrêtons pour prendre le thé de bon matin, nous sommes à peine descendus de voiture qu’un homme âgé d’une quarantaine d’années vient nous saluer en nous proposant du haschich… Nous refusons poliment. Mohamed ne s’en offense pas, il parle un peu français et nous conduit dans un boui-boui pour prendre le thé. Première surprise : c’est lui qui paye !
Il nous invite ensuite à visiter le marché : quelques fruits, quelques bestiaux – et quelques plants de haschich. Toujours avec son sourire aussi sympathique, il nous propose alors d’aller voir sa maison et sa famille…
Là, je commence à m’inquiéter, tant de gentillesse à l’égard des touristes que nous sommes me semble suspect ! Mais les “bonnes” surprises continuent : sous sa bouille d’honnête paysan, Mohamed est en fait l’un des plus gros cultivateurs de haschich de la région. Une grande maison pour la famille, une seconde pour le business, composée de granges où reposent trois tonnes de plants de cannabis !! Après la visite et la présentation de la famille (et de quelques échantillons), petite collation composée de café, oeufs au cumin et pain à tremper dans l’huile d’olive…
Petit moment de félicité totale, Philou hallucine autant que moi. Parce que l’histoire se termine comme ça, par une séance photos, un échange d’adresses et une chaleureuse poignée de main avec Mohamed, qui à aucun moment n’insistera pour nous vendre sa came… Nous reprenons la route, avec un immense sourire aux lèvres.
Trois kilomètres plus loin, je demande à Philou de faire une pause photos. Je n’ai même pas le temps de descendre que deux voitures s’arrêtent près de nous et deux hommes accourent littéralement pour nous saluer (on va pas s’envoler !). L’un et l’autre veulent nous emmener visiter leurs maisons… Nous refusons poliment : Abdeslam ne nous en tient pas rigueur, nous souhaite malgré tout un bon séjour au Maroc et se prête à une séance de portraits avec échange d’adresse et promesse d’envoyer les clichés.
Le second personnage, plus jeune, se nomme Mohamed (comme probablement la moitié des hommes dans ce pays !) et nous demande alors de le déposer chez lui un kilomètre de là… Abdeslam nous met en garde : “méfiez-vous, il est fou !” Nous embarquons malgré tout notre deuxième Mohamed de la journée, nous le trimbalons sur trois ou quatre kilomètres, et puis nous acceptons finalement de faire une courte pause chez lui.
Cette fois, ce n’est pas une maison que nous découvrons, mais une immense villa : le père de Mohamed n°2 est à n’en pas douter l’un des plus barons locaux du kif, pauvre, pauvre Mohamed n°1 ! Là encore, la réception est très chaleureuse et toute amicale, et l’on évoque à peine “l’herbe qui rend idiot” (Philou préfère l’appellation “herbe qui rend heureux”, mais vu la tête de l’allemand qui pointa son nez dans la pièce, je reste suspicieux).
Alors lorsque nous prenons congé de nos hôtes, je souris encore, réjoui par tant d’hospitalité… et puis l’espace d’un instant, je réalise qu’aussi généreux et sympathiques soient-ils, ce sont quand même de sinistres trafiquants de drogue !
Merci pour ton accueil, ton hospitalité
J’apprécierai toujours la saveur de ton thé
Visiter ta maison, rencontrer ta famille
D’authentiques plaisirs,
Moments simples et tranquilles
Par contre, tu peux garder ton tabac rigolo
J’ai du mal avec le chichon qui rend idiot
Du plaisir frelaté, des délires égoïstes
Et tous ces artifices pour fuir un réel triste
Pendant quelques secondes, l’illusion d’être heureux
Retour à la vraie vie et réveil douloureux
Doit pas rester grand-chose à brûler dans la tête
De tous ceux qui pratiquent jour et nuit la fumette
Mais c’est pas ton problème,
Faut bien fourguer ta came
T’es presque un humaniste, y’en a plein qui réclament…
La p’tite histoire
“Africaaid woz here” – Pas encombré le camping de Fès : un seul emplacement est occupé lorsque nous débarquons. Toujours en quête de rencontres, nous nous posons à proximité des uniques campeurs, où stationne une camionnette anglaise aux couleurs d’une organisation humanitaire pour l’Afrique… Nous ne tardons pas à entamer le dialogue avec notre voisin, David, quadra britannique en mission pour “Africa Aid”, une ONG chargé de distribuer des médicaments sur le continent africain. Il est bavard et plein d’humour, et c’est un vrai plaisir de discuter avec lui : son français est bien meilleur que notre anglais ! Amusé par notre voiture bariolée, il décide de laisser une trace de notre rencontre. Avec un gros marqueur noir (et sans nous demander notre avis !), il écrit l’adresse du site web de son ONG sur le côté gauche de Titine (www.africaaid.freeserve.co.uk) et inscrit en dessous : “Africa Aid woz here” (Africa Aid was here). Son message traversera le désert avec nous jusqu’au Sénégal. En revanche, il ne me laissera pas écrire sur son camion et je devrais me contenter d’une barre de la galerie pour noter l’adresse du site de Jángalekat…
L’œil de Philou
“Mohamed n°1 qui nous consacre 3 heures sans arrières pensées, Mohamed n°2 qui roule des pétards incroyables, vraiment incroyable. L’accueil toujours aussi chaleureux, nous nous laissons flotter par l’ambiance, des paysages d’une beauté rare et d’une variété incroyable. L’entrée à Fès, première grande ville que nous traversons, un couscous fabuleux. La fatigue est là mais nous ne ralentissons pas le rythme. Enfin mon Cissou tapant comme un hystérique sur son clavier au cyber. Cela fait 4 jours qu’il prépare ses messages, le fauve se lâche ….”
Et dans le magnéto…
- La musique marocaine du boui-boui où nous prenons le thé avec Mohamed n°1
- L’ambiance jamaïcaine de chez Mohamed n°2 avec Bob Marley
- Le fond sonore de la traversée de Ketama / Issaguen, le marché et le cortège électoral