Mercredi 2 octobre 2002, Nouadhibou-Nouakchott
Sinistre pays. Le premier arbre – un petit acacia – est à 45 kilomètres d’ici. La terre, nettoyée jusqu’à l’os, pulvérisée au souffle des siècles, est morte. Le vent, qui souffle sur les dunes couronnées d’un légère nuée de poussière, chante un cycle révolu et le repos définitif d’un sol qui ne connaîtra plus la pluie… (Thédore Monod)
L’étape : Désert vers Nouadhibou (Mauritanie) – Nouakchott (Mauritanie)
Départ très matinal avant le lever de soleil, Ahmed et moi dans Titine, Philou avec un chauffeur dans une seconde Mercedes qui nous a rejoint à l’ “hôtel” pendant la nuit. Rencontre d’un troupeau de dromadaires au soleil levant… Et puis, des dunes, du sable, des regs et des cailloux ! Grosse chaleur, Titine chauffe… Bord de mer et Banc d’Arguin rejoints en début d’après-midi, quelques pauses dans les villages côtiers (thé, lait caillé… poisson séché…) Arrêt en milieu d’après midi dans un village assez hostile, petite balade pédestre dans le désert avec Philou. Après repas, sieste et reprise de la piste par le bord de mer à marée basse entre 22 heures et une heure du matin… (n’importe quoi). Dodo en bord de piste à une quinzaine bornes de Nouakchott jusqu’à 7 heures.
Kilomètres du jour : 400. Depuis le départ : 5350.
Les SMS du jour
Réseau non-disponible…
L’image
Les dromadaires de l’aurore– Ce sera à n’en pas douter le souvenir le plus merveilleux que je garderai du désert : un troupeau de dromadaires croisant nonchalamment notre route alors qu’un disque orangé se lève au-dessus des dunes… La pause s’impose, nous arrêtons les véhicules et je dégaine l’appareil.
Les nobles vaisseaux du désert passent à quelques mètres de nous seulement : l’animal n’est pas farouche, je parviens à m’approcher sans les effrayer. Alors là, déambulant au milieu du désert, bercé par la douce chaleur de l’astre solaire et cerné par de tranquilles dromadaires, je jubile intérieurement. L’instant est rare, magique, unique, comme seul le désert sait en offrir…
Le détour
Regrets sahariens – Le conducteur de la Mercedes qui nous accompagnait était pressé. Ahmed aussi, alors on a foncé, sans détours. Nouakchott ralliée en moins de 36 heures, le Banc d’Arguin traversé à fond les ballons sans prendre le temps de faire une seule pause, et le dernier tronçon effectué de nuit à cause de la marée. Alors je garde un goût amer de cette transsaharienne, comme un regret, une immense frustration. Peu d’images me reviennent, et si peu de souvenirs de ces paysages que j’avais tant rêvés de contempler, à m’en brûler les yeux. J’ai l’impression d’avoir été “privé de désert”…
J’avais rêvé de moments d’éternité, de solitude et de silence. J’avais rêvé de marcher dans les dunes, de courir dans les dunes, de m’asseoir dans les dunes, de dormir dans les dunes en regardant les étoiles. J’avais rêvé d’assister à des levers de soleil, à des couchers de soleil, j’avais rêvé de prendre le temps de contempler l’immensité désertique. J’avais rêvé de me retrouver là, loin du monde et des gens, près de moi. J’avais rêvé de rencontrer l’Alchimiste ou le Petit Prince, j’avais rêvé de ressentir en ce lieu la même émotion que Théodore Monod, et de vibrer comme St Exupéry…
J’ai toujours aimé le désert. On s’assoit sur une dune de sable. On ne voit rien. On n’entend rien. Et cependant, quelque chose rayonne en silence… (St Exupéry, le Petit Prince)
Le désert est passé, les rêves aussi. Ébloui par la lumière et la beauté de tout ce qui défilait bien trop vite autour de moi, je n’ai rien vu, rien retenu. Envolés le plaisir, la magie, l’émotion ressentie. Il ne me reste que les souvenirs pénibles et difficiles, le désert souillé par les ordures et le plastique, la misère des villages traversés, les incessantes sollicitations des habitants petits et grands, la pauvreté des contacts humains avec les maures…
Il y avait mille lieux magiques – et “déserts” – pour faire des pauses et passer la nuit. Lorsque la marée nous impose un arrêt, Ahmed choisit un misérable village de pêcheurs en bord de mer, où nous passons quelques heures difficiles avec les habitants. Nous fuyons un moment une ambiance plutôt malsaine pour aller marcher dans le désert, mais pour y croire vraiment, j’ai besoin de rejoindre les dunes, de m’éloigner de ce village. J’abandonne mon Philou pour aller m’asseoir sur une dune au soleil couchant… (je me laisse d’ailleurs surprendre par la nuit, ce qui provoquera une grosse colère de mon Philou : “j’aime pas ces plans-là c’est tout !”)
Après un Bolino et deux plats de moutons Mauritaniens (partagés à contre coeur avec quelques hommes qui mangent comme de véritables gorets), je commence à m’endormir avec un sentiment plus que mitigé sur cette journée… Je ne sais pas encore que le pire est à venir.
Vers 22 heures, Ahmed annonce que la marée est favorable et qu’il faut repartir ! Le calice jusqu’à la lie : ces trois heures de trajet nocturne sont pour moi un véritable calvaire. Fatigué et contrarié de partir de nuit sans pouvoir profiter des images du désert et du bord de mer, guère rassuré par la vive allure à laquelle Ahmed mène Titine sur la piste, je me cramponne à mon siège en le maudissant et en serrant les fesses et les dents, sans dérider. Je n’ouvre la bouche qu’à une seule reprise, pour lui demander de lever un peu le pied, ce à quoi il me répond laconiquement “mais, on risque de perdre la Mercedes…” Je pousse un ouf de soulagement lorsque nous nous arrêtons pour une pause dodo à une heure du mat’, alors que les lumières de Nouakchott sont en vue.
C’est fini, Titine a tenu admirablement le choc, nous pouvons dire que nous avons vaincu le désert. Mais cette victoire me procure beaucoup plus de frustration et d’amertume que de satisfaction et d’enthousiasme…
La rencontre
Hommes du désert – Nous mettrons en tout et pour tout 48 heures pour traverser la Mauritanie, sans donc vraiment prendre le temps de rencontrer les autochtones. Mais le moins que l’on puisse dire en quelques contacts, c’est que nous ne garderons pas un souvenir impérissable du peuple Maure. Nous avions quitté les marocains enthousiasmés par de multiples contacts chaleureux et amicaux, nous quittons les mauritaniens sans regrets. Moins ouverts que leurs voisins du nord, moins conviviaux, moins soucieux de leurs hôtes étrangers, moins accueillants tout simplement. Peu bavards, les hommes sont ici à l’image du désert : difficiles au premier abord, secs, austères. Si nous partageons leur repas, nous ne sommes pas intégrés aux discussions – en arabe exclusivement.
Même notre guide Ahmed, pourtant amené fréquemment à côtoyer des étrangers de par sa fonction ne se montrera guère plus communicatif. Service minimum : c’est plutôt un pilote qu’un guide. Nous tentons pourtant d’ouvrir la discussion en le questionnant sur la Mauritanie, le désert et ses habitants, peine perdue : réponses courtes, évasives et imprécises, témoignant à la fois d’un désintérêt pour l’échange et d’une certaine inculture. Homme bourru et pas forcément bête, mais pour le moins limité : ses centres d’intérêt semblent se limiter aux voitures et à l’argent. Autant vous dire le peu d’affinités que j’avais avec le personnage, et j’avoue qu’après 500 kilomètres de désert en tête à tête avec lui dans Titine, ce fut un vrai plaisir de retrouver mon Philou, son humour, ses délires, et même ses histoires de pylônes…
La p’tite histoire
Les K7 d’Ahmed – Dès l’entrée dans le désert, je range vite mon baladeur CD pour le protéger de la poussière : de toutes façons avec les bosses, il est un peu inutilisable. On ne capte étrangement aucune radio et il n’y a qu’une seule cassette dans la voiture depuis le départ, celle qui avait servi à mon père pour tester l’autoradio : Patrick Bruel (j’assume mes goûts musicaux). Il y a sans doute des musiques plus adaptées au décor mais nous roulons donc dans le désert en écoutant Bruel… Enfin, pas très longtemps puisqu’Ahmed profite d’une pause pour l’échanger avec le chauffeur de la Mercedes de Philou contre une K7 de musique Mauritanienne. C’est sympa pendant deux minutes, mais ça saoûle vite la quiche…
Titine n’a d’ailleurs pas eu l’air d’apprécier elle non plus puisque l’autoradio avale goulûment la K7 en mâchant bien la bande ! Je ne peux m’empêcher d’en sourire. Joie de courte durée malheureusement, puisqu’en croisant un véhicule conduit par un de ses amis, Ahmed réussit à se procurer une autre K7, encore plus “saoûle-la-quiche”. Ça aussi, ça vous rend une traversée du désert difficile…
L’œil de Philou
“C’est beau le désert et vachement varié (pas trop sur les couleurs !!!). Mon pilote, enfin la machine, le robot qui conduisait la voiture. Un thé dans le désert (seul moment un peu magique de la traversée). Les villages crasseux, ses enfants dressés au racket (on peut comprendre), les adultes dressés au racket (on comprend pas), Cissou qui fait une fugue d’adolescent. Dans mon esprit la tête de Cissou dans Titine en train de se faire secouer sur le banc d’Arquin et les pistes ralliant Nouakchott. Je me dis qu’il appréciera finalement ma conduite. Cyril plein de rêves non concrétisés et moi qui était pressé de quitter ces gens pas vraiment agréables.”
Et dans le magnéto…
- Commentaire de Cissou dans le désert avec Ahmed
- Le p’tit mot de mon guide pilote Ahmed dans son désert
- Commentaire de Cissou en traversant le Banc d’Arguin
- Commentaire de Philou dans le village en soirée (“tout colle…”)