La journée : mardi 24 juillet 2001
Matinée tranquille à l’hôtel : plage, baignade dans un océan déchaîné, journal de bord… Départ pour St Louis en début d’après-midi pour une visite de la ville en calèche : quartiers commercial, militaire et résidentiel sur l’île, quartier des pêcheurs sur la langue de Barbarie. En fin d’après-midi tour piéton au marché de Sor, sur le continent de l’autre côté du pont Faidherbe. Repas authentique dans l’ancienne gare, maison sénégalaise classée monument historique. Fin de soirée à l’hôtel avec le thé d’Amath…
Un chiffre
575 – En francs CFA (soit 5 francs français et 75 centimes !), la somme qui nous reste à tous les trois en arrivant à St Louis… Même pas de quoi se payer un chawarma à trois ! Heureusement, Nanie et moi dégainons nos cartes bleues Visa pour faire le plein à la Bicis du centre-ville ; c’est bien la première fois que je demande 100 000 francs à un distributeur, et que la banque m’autorise sans broncher un tel retrait ! Du coup, je rejoue une fois pour dépanner Pascal qui a des soucis : il faut dire que la Mastercard qui lui permet de faire le boss quand il se déplace à New York ou Boston est inconnue dans cette partie reculée du monde…
A voir / à faire
St Louis en calèche – Pour la visite, notre groupe se partage en deux voitures, nous montons à dix dans la plus grande, laissant Annie et Daniel seuls en amoureux dans la plus petite…
L’ancienne capitale coloniale ne manque pas d’originalité, découpée en trois parties très distinctes autour du fleuve Sénégal : une partie sur le continent (où est basé le marché de Sor), la ville historique sur l’île et les quartiers plus populaires sur la langue de Barbarie. La balade en calèche qui nous est proposée nous permet de découvrir chaque site : trois décors et trois ambiances très différentes. Le calme et le charme des anciens quartiers coloniaux de l’île contraste avec l’animation qui règne dans le quartier plus pauvre des pêcheurs, située sur la langue de Barbarie.
Le pont Faidherbe – L’île qui abrite l’ancienne partie coloniale est reliée au continent par l’immense pont Faidherbe, mais attention ! “Malgré son nom, ce n’est pas un pont fait d’herbe…” plaisante notre guide ; ce gigantesque ouvrage métallique de plus de 500 mètres porte le nom de l’ancien gouverneur emblématique de la ville. Quelques belles histoires circulent à son sujet, la plus surprenante racontant que le pont avait été conçu initialement pour enjamber le Danube, et qu’il était arrivé à St Louis à la suite d’une gigantesque erreur administrative ; comme il faisait la bonne longueur pour traverser le fleuve Sénégal, les autorités de l’époque l’avaient gardé…
Le marché de Sor – A l’autre bout du pont Faidherbe que nous traversons à pied, nous déambulons au milieu de l’ambiance presque tranquille du marché de Sor, qui contraste avec l’incroyable animation du quartier, lieu de passage particulièrement fréquenté. Accompagnés de Loïc, nous le traversons en fin d’après-midi en toute sérénité, découvrant comme à Dakar les étals de poissons séchés et les cargaisons de fruits locaux ; quelques marchands d’épice complètent le tableau. Ce décor authentique met en éveil tous les sens, particulièrement la vue… et l’odorat !
Souvenirs-sourires…
Radio bonne humeur – Panne sèche : en ce début d’après-midi, notre minibus reste en rade entre l’hôtel et St Louis. Pendant qu’Amath et Serigne se démènent pour trouver un bidon de ravitaillement, nous patientons en pleine chaleur avec une radio locale. Ce jour-là, nous sommes les auditeurs forcés de “radio bonne humeur”… tout un programme. Roi de la palabre, l’animateur de l’émission perpétue la tradition orale en invitant les gens à téléphoner pour raconter leurs histoires drôles et leurs mésaventures. Le bagout naturel des africains fait le reste : nous avons droit à quelques grands moments d’humour à la sénégalaise.
Parfois c’est une station plus musicale (aux sonorités africaines évidemment), quelquefois une radio wolof. Dans tous les cas Hassan met toujours très fort et c’est un calvaire pour nous autres passagers, surtout pour la personne assise sous l’enceinte au fond du bus. Par une “heureuse” coïncidence, à la suite d’une altercation entre Hassan et quelques jeunes de St Louis, l’autoradio sera dérobé dans le bus le soir-même… A compter de ce jour béni, la place au fond face à Serigne deviendra la place la plus recherchée du bus, et sera jusqu’au dernier jour l’objet d’une bataille féroce entre Virginie et moi !
La côte très très sauvage – L’immense plage de sable qui longe l’hôtel est splendide… Après le petit dej’, nous ne résistons pas à l’appel de la baignade. Quel luxe de pouvoir sortir de la chambre et de n’avoir que dix mètres à parcourir pour se trouver face à l’océan ! Je jette mes tatannes, j’abandonne négligemment ma serviette et je cours plonger dans la première vague qui passe. Je sors à peine la tête de l’eau qu’une seconde me tombe sur le nez… Je surfe sur la troisième, la quatrième me ramasse encore, l’océan est déchaîné et c’est trop top ! Cela me rappellerait presque la côte sauvage de mes vacances à La Palmyre… en un peu plus sauvage peut-être !
“Toubabs, toubabs !” – Nous n’avons pas réagi immédiatement lorsque les premiers cris d’enfants nous sont parvenus. Mais la scène se répétant tous les dix mètres au passage de notre calèche, nous avons fini par comprendre que leur appels nous étaient bien destinés : “toubabs, toubabs !” Difficile pour un groupe de douze blancs de passer inaperçu. Loïc nous expliquera que le terme vient du temps des colonies : il s’agit d’une déformation du mot “toubib” et rappelle qu’à l’époque, les colons français étaient les seuls médecins du pays.
Quelquefois c’est un gamin qui se contente de crier “toubabs !” avant de poursuivre son chemin ; parfois ils sont toute une bande à nous interpeller ainsi en suivant notre véhicule du regard et en nous faisant des gestes de la main. Au cours de notre passage, je me souviens d’avoir entendu ce joyeux cri poussé très fort en contrebas de la calèche. Par curiosité, j’ai penché la tête pour regarder combien d’enfants constituaient cette chorale si enthousiaste… J’ai eu la surprise de ne découvrir que deux toutes petites filles hautes comme trois pommes, pleines d’énergie et souriantes à craquer !
Une ambiance
Les quartiers populaires de St Louis – Si la calèche est sans doute le moyen idéal pour découvrir les anciens quartiers coloniaux de l’île, on se sent tout de suite moins à l’aise sur la langue de Barbarie, au milieu des quartiers populaires. La misère est partout, les rues sont jonchées de déchets et détritus en tous genres, les habitations sont délabrées, les gamins jouent assis dans la boue et la poussière… Pas étonnant que le passage de notre calèche déclenche certains regards hostiles et inamicaux : nous passons comme des “nababs” avec nos lunettes de soleil, nos appareils photos…
Je tente de me détacher de cette sensation désagréable pour observer avec attention les petites scènes de la vie ordinaire de ces sénégalais. Certes, le tableau qui nous est offert est misérable, mais je réalise que je vois les choses avec mon regard et mes valeurs de riche européen. La pauvreté et la misère sont bien là, mais certainement pas la morosité ni la tristesse : il y de la vie dans chaque ruelle, dans chaque regard. La rue est un immense atelier investi par les artisans, les mamas africaines se regroupent pour s’occuper de leurs bébés, les mômes shootent dans des ballons. Ces gens-là ne possèdent rien de tout ce que nous avons, et leur existence peut apparaître peu enviable ; ils ne semblent pourtant pas plus malheureux que nous…
On nous fait croire
que le bonheur c’est d’avoir
de l’avoir plein nos armoires
Dérision de nous, dérisoire…
(Alain Souchon)
Bouilles de mômes
Regards amusés et gestes de défiance – Aucun gamin ne reste indifférent au passage de la calèche de notre groupe de toubabs. Mais les réactions suscitées vont des plus timides aux plus expansives, et toutes ne sont pas forcément amicales… Les “Toubabs, toubabs !” fusent à tous les coins de rue ; beaucoup d’enfants nous adressent sourires et gestes frénétiques de salut auxquels nous répondons avec un immense plaisir ; certains se contentent de lever la main sans un sourire, le visage impassible…
Nous devons malheureusement affronter aussi parfois les regards plus durs de certains gamins, des rires moqueurs, des gestes de défiance et même quelques insultes. Mais ne se sentent-ils pas eux même insultés par notre présence, que doivent-ils penser en nous voyant passer sur notre calèche ? Leur réaction est compréhensible…
Et au menu :
Confiture et premier ‘thiep bou dien’ – Originalité au petit déjeuner où nous découvrons une confiture “mangue et menthe” qui met du baume aux papilles dès le réveil ! Au cours du repas du soir, dans la petite salle familiale située dans les bâtiments de l’ancienne gare, ces mêmes papilles sont mises à mal avec deux plats typiques : le traditionnel thiep bou dien pour les uns (“poisson avec riz” littéralement en wolof) et un mafé (poulet à la sauce arachide) pour les autres. Nous ne serons que quelques-uns à finir nos assiettes tant les plats sont épicés… Je choisis de faire honneur à ce premier “thiep” mais je termine la bouche en feu, et j’avoue avoir mis quelques heures avant de retrouver l’intégralité de mes sensations gustatives !