Immersion

Pikine (Sénégal), 5 juillet 2008

Je décolle ! Après trois ans et demi d’attente et d’impatience, je suis enfin en partance pour l’Afrique. J’ai évidemment peu dormi la nuit précédent le départ, pour boucler mes préparatifs et tenter de penser à tout pour les 7 semaines qui m’attendent… Je finis par me résoudre à suivre le conseil de mon amie Laure : “L’essentiel, c’est le passeport et le billet d’avion…”

L'arrivée sur Dakar, vue d'avion

L’arrivée sur Dakar, vue d’avion

Après une attente plutôt longue au départ de Marseille-Marignane, je comate dans l’avion pendant les cinq heures de vol. C’est la descente sur Dakar en fin d’après-midi qui me ramène à la réalité, ravivant les souvenirs de mes précédents voyages.

Sur le tarmac, il fait un petit 28° et le ciel est un peu gris-blanc. Je sors vite de l’avion pour sauter dans la navette, je remplis le formulaire d’arrivée à toute allure et en moins de dix minutes, j’ai passé la douane et récupéré mes bagages. J’échappe à un premier importun qui veut changer mes euros et je file vers le distributeur (qui marche, miracle !). C’est à partir de là que le grand n’importe quoi commence.

Il y a eu beaucoup de travaux dans cet aéroport de Dakar et je ne retrouve pas mes repères habituels. Je me laisse guider malgré moi vers ce que je crois être la nouvelle station de taxis. Le premier à m’interpeler avec ses clés à la main est visiblement un propriétaire de “clando” (taxi clandestin, conduite par un simple particulier). Je décline sa proposition pour m’adresser à un vrai taxi. Deux chauffeurs plutôt agressifs me sautent alors littéralement dessus, attrapant l’un mon bras, l’autre mon sac, pour tenter de me traîner jusqu’à leur voiture… Pendant ce temps, le chauffeur du clando continue à agiter son trousseau de clés devant mes yeux !

Les trois lascars s’invectivent en wolof, se tournent vers moi de temps en temps pour me demander où je veux aller… Mais impossible pour moi de négocier quoi que ce soit dans ces conditions ! Le clando lâche l’affaire et je finis par choisir un des deux chauffeurs pour mettre fin à ce cirque. L’heureux élu redevient instantanément serviable et très aimable…

Cette péripétie ne manque pas de confirmer mon pressentiment : avec la récente hausse du prix du pétrole et des denrées alimentaires, la situation économique est extrêmement tendue pour la population sénégalaise.

Marché à Pikine

Marché à Pikine

Mon chauffeur a préféré quitter les encombrements de la route nationale et me balade dans la banlieue dakaroise par le bord de mer : Parcelles Assainies, Golf Sud, Cambérène, Guiediawaye, Pikine. La misère s’étale sous mes yeux entre les constructions en moellons rarement terminées, des tas de gravats et d’ordures et la plage à quelques mètres. Je remarque sur le trajet l’apparition d’un nouveau type de véhicule au milieu des taxis, des cars rapides, des carcasses roulantes, des 4×4 et des charrettes : le scooter ! Les chinois semblent avoir frappé ici aussi.

Je me laisse porter par l’ambiance et les tableaux défilent : un match de foot dans le sable, un rassemblement religieux mouride, un attroupement pour un combat de lutte sur la plage, des vendeuses de mangues assises au bord du chemin cahotique, un atelier de métallurgie et puis évidemment, les milliers de personnes assises, immobiles ou déambulant nonchalamment. Le taxi me dépose à côté du stade Amadou Barry, d’où je retrouve facilement la maison Touré.

Le muezzin de la mosquée voisine annonce l’heure de la prière du crépuscule. La cour de la parcelle 210 est déserte : seul un homme habillé de blanc est en train de prier . Je pose mes bagages sur le banc à l’extérieur, pour ne pas déranger. Bientôt une jeune fille entre dans la cour, je lui demande Kiné (la maman de mon ami Baba).  Elle m’explique qu’elle était de cérémonie de mariage, et m’assure de son retour proche.

Kiné ne tarde pas à débarquer. Après les salutations d’usage et le message de “bonne arrivée”, elle me reproche gentiment de ne pas l’avoir appelée de l’aéroport. Très vite, me voici l’hôte de la maison, objet de toutes les attentions. “Tu n’est pas trop fatigué ? Viens mettre tes bagages dans la chambre…” “Tu veux du bissap ?…” “Je vais faire remplir le seau pour la douche… Prends les sandales en plastique…”

Après une bonne douche au seau (avec une ou deux blattes de passage), je m’installe dans le petit salon où Kiné m’apporte très vite un plat de poulet frites qu’elle a préparé spécialement pour moi. “Merci beaucoup Kiné, mais tu sais que je ne veux pas de plat spécial, demain je veux manger le thiep bou dien avec vous !…” Elle fait semblant de s’en étonner, bien que je lui répète à chaque visite. Mais on ne décide pas grand-chose ici…

Fotigui, le mari de Kiné rentre enfin. Il me salue mais semble bien fatigué et se comporte de manière assez étrange, tenant un discours des plus incohérents. C’est son haleine qui me donne l’explication : il est passablement éméché… Demain sera un autre jour !

En attendant, Kiné m’accompagne jusqu’à la petit piaule qui sera ma chambre. Avec des consignes très claires : ne pas prendre mes bagages mais juste l’essentiel pour la nuit, bien fermer le volet métallique de la fenêtre, et la porte à clé. Suffocant dans la chaleur de cette piaule étouffante, pris d’assaut par les moustiques, réveillé par le muezzin ultra-matinal… je passerai une première nuit pikinoise épouvantable. Pour survivre, je désobéirai à Kiné en dormant fenêtre et porte ouvertes les nuits suivantes !

Pikine, parcelle 210… Touré Kunda »»