N’Dangane, 22 octobre 2002
Alors que la plupart des “bana-bana” guettaient les touristes à l’entrée du marché artisanal de N’Dangane, Ousmane était à l’ouvrage sur ses djembés au fond de la petite paillote dans laquelle il avait installé son atelier : artisan plus que commerçant. Si d’aventure un touriste s’arrêtait par curiosité pour l’observer ou jeter un œil aux instruments terminés en exposition, il poursuivait son travail. Disponible, prêt à répondre aux questions, mais pas le genre à “courser le toubab”.
Il y mettait du temps, du talent et du coeur,
ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
A sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui
Il changeait la vie… (Jean-Jacques Goldman)
Ousmane m’a rapidement expliqué les règles du marché, dans lequel cohabitaient beaucoup de vendeurs pour un nombre pas toujours garanti de touristes. Tout le monde ne gagnait pas tous les jours, loin de là… Pour pouvoir manger – et aider leur famille, certains n’hésitaient donc à faire monter leurs prix pour des objets d’artisanat sans grande valeur marchande (statuettes, masques, tableaux de sables, bijoux…) comme il en existe partout aux Sénégal. “La plupart des objets vendus au marché ne valent pas plus de 5000 F CFA (7 euros)…” me confia-t-il un soir.
Et Ousmane de poursuivre mon initiation par un petit cours de fabrication du djembés, insistant sur la différence entre les djembés “antiquaires” (ceux vendus dans la plupart des échoppes sénégalaises, simples objets d’exposition) et les djembés professionnels, travaillés avec plus de soin et mieux finis pour satisfaire aux exigences des musiciens. Lui avait appris le métier dans une fabrique où il devait en monter plusieurs par jour… Désormais indépendant, il effectuait régulièrement des allers-retours sur Dakar pour récupérer la matière première (fûts en bois de teck de et peaux de chèvres) afin de pouvoir répondre à la demande et vivre de son art.
A N’Dangane, Ousmane était une référence en matière de fabrication de djembés, tant pour leur qualité esthétique que sonore. Alors que la plupart des jeunes du marché n’étaient que de simples revendeurs d’une marchandise achetée à bas prix sur Dakar, lui faisait partie des quelques vrais artisans qui vendaient le produit de leur labeur. Et puis, il y avait chez Ousmane une discrétion rassurante, presque de la timidité, en tout cas une humilité, une vraie humanité et une gentillesse évidente. Alors, lorsqu’il a proposé de réaliser un djembé spécialement pour moi avant mon départ, je me suis laissé tenter. Et après l’avoir vu au travail, je n’aurais pas osé acheter un djembé monté et décoré par un autre que lui !
Pour faire face aux commandes, Ousmane avait engagé un apprenti, son jeune cousin Amara. Dans la culture sénégalaise, l’apprentissage est une pratique courante qui permet de former des jeunes à moindres coûts, et ce dans la plupart des corps de métier : il y avait ainsi à N’Dangane des apprentis piroguiers, des apprentis menuisiers, des apprentis tailleurs… L’intérêt est double : cela permet de disposer d’une main d’œuvre peu coûtante (la plupart sont à peine rémunérés), et pour le jeune, c’est l’occasion d’apprendre un métier sur le tas avec un professionnel.
Au jardin d’enfants, l’association dont je fais partie a d’ailleurs décidé de se conformer à cette pratique, en facilitant le travail de l’animatrice responsable par le recrutement d’une jeune aide.
Ce jour-là, l’apprenti monteur de djembés Amara a commis une erreur… d’apprenti : en tirant un peu trop sur le cordage, il a fait sauter l’anneau de fer qui enserrait la peau sur le haut du fût. Tout un travail méticuleux à recommencer. Ousmane n’a rien dit, et a laissé Amara reprendre l’ouvrage. Il sait que c’est le prix de l’apprentissage pour qu’un jour l’élève rattrape le maître…
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