Koudougou (Burkina Faso), 15 Mars 2003
L’Afrique ne veut point pour amants des délicats ou des douillets ; il y faut le mépris des biens terrestres et l’amour de la vie primitive, et le dégoût de tout l’artificiel d’une vie trop compliquée… (Théodore Monod)
Andiarra les nassaras ! Petites nouvelles de la suite de mon périple à l’intérieur de l’Afrique, une Afrique de plus en plus incertaine, de plus en plus difficile et de plus en plus surprenante… Les cousines sont rentrées au pays en début de semaine et mon séjour burkinabé touche à sa fin : je rejoins le Niger en début de semaine prochaine après quatre semaines bien remplies au Burkina partagées entre Koudougou et Semaga.
Koudougou est une ville paisible où nous avons alterné les bières avec les jus de bissap, les petites bouffes avec les grandes invitations, les balades en vélo avec les virées nocturnes à mobylette, les excursions en ville avec les heures de palabres à l’ombre des manguiers… Les amis burkinabés, fidèles à leur réputation et au souvenir que je gardais d’eux depuis leurs visites à St Jean, ont vraiment été aux petits soins pour nous. Et puis il y a eu Semaga, trois jours dans l’Afrique “profonde”…
Petit village de la brousse, à 65 bornes de Koudougou, jumelé depuis 95 avec l’association St Jean Echanges Partage. Tout le village s’était donné rendez-vous pour nous accueillir, les notables et les anciens du village, les représentants d’association, la troupe musicale, et les 3 instits avec leur 170 élèves ! Dans cette Afrique-là où l’on ne voit des blancs qu’en de très très rares occasions, les bébés se mettent à pleurer, les enfants ne vous quittent pas des yeux et hésitent entre étonnement et amusement, les anciens accourent aussi vite que leurs vieilles jambes le leur permettent pour vous saluer et vous serrer la main…
Trois jours d’échanges et de rencontre, trois journées riches pour constater la réalité et l’efficacité d’une “collaboration exemplaire” (dixit Koudbi Koala) entre nord et sud, entre une petite association française et un village de brousse vraiment acteur de son développement. J’en parle d’autant plus facilement que je ne suis qu’un modeste adhérent, pas du tout impliqué dans cette action-là !
Après trois jours intenses et plein d’émotions, nous sommes rentrés à Koudougou, puis les cousines sont allées attraper leur avion à Ouaga. Et moi, j’ai sauté dans le premier véhicule qui passait pour retourner à Semaga… Bon, Semaga, c’est un peu le trou du cul de l’Afrique, il faut se lever de bonne heure pour en trouver un qui prend la piste. Le seul engin que j’ai trouvé, c’est une “mobylette-brousse”, avec chauffeur ! La plus grande balade en “brel” de ma vie (même à 15 ans je faisais pas autant de bornes avec ma 103), 65 bornes d’une piste bosselée et poussièreuse, le tout sur le porte-bagages, je vous laisse imaginer l’état de mon postérieur à l’arrivée. On a crevé (évidemment) à 20 bornes de l’arrivée, j’ai apprécié la pause d’une heure le temps de trouver un “garage”. Arrivé au village, Valentin (le responsable de l’asso locale) et les enseignants m’ont accueilli avec tous les égards, vraiment enchantés que je choisisse de revenir passer quelques jours parmi eux.
J’ai tenu 4 jours cette fois, c’était fabuleux, mais j’étais quand même content de rentrer à Koudougou ce matin. La brousse, c’est pas l’extase tout le temps non plus… Non, ce n’est pas “agréable” de dormir sur une natte à même le sol, pas plus que de manger du tô (le plat quotidien national à base de mil) ou du riz gras à tous les repas, pas plus que de se rafraîchir avec une bière à 35°, d’affronter pendant 4 jours l’harmattan et la poussière de la brousse, et de rentrer se doucher le soir avec un seau au-dessus de la fosse septique de la concession… Non ce n’est pas agréable, mais comme dit un proverbe africain, “on ne peut pas courir et se gratter le cul en même temps” ! Autrement dit, on ne peut pas prétendre découvrir la réalité de la vie en brousse sans partager le vrai quotidien des africains. Ce n’est pas agréable, mais cela permet alors de découvrir une Afrique incroyable…
– Mardi, le marché : à peine arrivé, les anciens surgissent de toutes parts pour saluer “le blanc”, pour me serrer la main avec un immense sourire. Ils ont 50 ou 60 ans, ils en paraissent le double, tout est délabré chez eux… mais ils ont gardé une lueur incroyable dans le regard, et un sourire très touchant malgré l’état de leur dentition Après, je me retrouve invité à partager une calebasse de dolo, la bière de mil. Et boire le dolo avec les anciens au marché de Semaga, c’est un peu comme boire le p’tit blanc le dimanche matin avec les vieux dans un bistrot de nos campagnes… C’est romantique, émouvant, désuet comme une photo sépia. D’ailleurs, quand on sort l’appareil, les anciens n’hésitent pas à se bousculer – pire que les gosses de l’école – pour prendre la pose et être sur le cliché !
– Mercredi, conférence pédagogique annuelle des instits du Burkina : j’ai accompagné mes collègues de Semaga. Je me suis retrouvé avec 150 collègues burkinabés entassé dans une salle de classe qui accueille ordinairement 70 éléves (sur une vingtaine de bureaux…). La conférence devait durer trois jours, elle aura duré… 15 minutes, le temps de l’ouverture officielle par les huiles, préfet, représentant des parents d’élèves, inspecteur. Et puis, le délégué syndical a pris la parole et appelé au boycott de la conférence, jugeant la formation trop courte et les conditions de prise en charge insuffisantes. Là, plus des trois quarts des instits ont quitté la salle, et moi aussi, solidaire avec mes collègues ! (“enseignants de tous pays, unissez-vous !” aurait dit Marx s’il était né au Burkina…). La conférence s’est transformée à l’extérieur en réunion d’information syndicale, on s’est installés… sous les manguiers et on est allés chercher des bancs… à l’église. Au bout d’une heure de palabres (très instructive), dispersion générale sauf pour quelques-uns qui ont prolongé les débats par une partie de belote ou de Scrabble !
– Jeudi, tour de brousse : Valentin m’a gentiment invité à découvrir en moto les villages environnants, puits, jardins, dispensaires, écoles et autres réalisations villageoises. Encore beaucoup de rencontres, un accueil formidable partout. Formidable ? Le mot est faible… De passage dans une concession pour saluer un ami de Valentin, le chef de famille envoie son fils nous chercher des cocas. On boit un coup, on discute, on se salue. Et puis d’un coup, comme ça là, le chef de famille me tend un poulet que son fils vient d’attraper pour moi : cadeau ! Deux minutes après, c’est la grand mère qui me tend une calebase d’arachides et des condiments pour emmener… Je ne sais pas quoi dire, je me sens gêné, dépassé par tant de générosité. Ce n’est pas rien un poulet, quand on sait qu’on est en pleine saison sèche et que presque plus rien ne pousse car les puits sont à sec… Je remercie, autant que je le peux, on embarque le poulet et on va saluer l’infirmier du village voisin avant de rentrer. Nouveau délire : “Je vous offre un perroquet, vous le voulez de quelle couleur ?” (m’enfin ?!!). Evidemment, nous sommes repartis avec un perroquet…
– Vendredi, entretien à l’école avec les parents d’élèves : “missionné” par St Jean Echange Partage pour être l’ambassadeur de l’association auprès des enseignants et des parents d’élèves, j’ai donc rencontré les représentants pour parler des projets et recueillir les doléances. Je parlais en français, le directeur traduisait en Moré pour le traducteur qui traduisait à son tour en Leylé pour les parents d’élèves… Tout ce que j’ai compris, c’est qu’ils étaient très heureux de la collaboration entre St Jean et Semaga, qu’ils nous remerciaient encore et encore et encore (et encore), et d’ailleurs pour me remercier moi qu’ils m’offraient… une pintade. Avec mon poulet et mon perroquet, ça me faisait presque de quoi ouvrir une volière… Après, la réunion s’est terminée, les élèves sont rentrés en classe. Le directeur les a fait chanter pour moi en fin de journée, et comme j’enregistrais ils chantaient encore plus fort pour être sûrs qu’on les entende. Pendant ce temps-là, la pintade s’agitait au pied du tableau…
Hier soir, j’ai réussi à échapper au Tô (ouf !). La femme de Valentin avait cuisiné le poulet que je lui avais offert. J’ai laissé la pintade aux enseignants, et le perroquet à Valentin pour les remercier. Je me voyais pas rentrer à Koudougou avec mon poulet dans une main, ma pintade dans l’autre, et mon perroquet sur l’épaule ! J’aimerais quand même bien savoir comment les gens de la brousse ont su que cette semaine-là était celle de mon anniversaire. Eh ! Oui, mardi, j’ai eu trente ans…
L’âge bâtard où l’on est trop jeune pour être vieux et trop vieux pour être jeune. Je vais vous expliquer comment ça se passe : tu as 20 ans, tu déconnes un brin et puis voilà, c’est fini. Il faut t’y résoudre : plus jamais ton âge ne commencera par un deux…” (Beigbeder)
Tout commence un sale matin,
dans le miroir d’une salle de bains
C’est pas le conquistador,
ce has been jeune homme bouffi qui dort encore…
Qu’est-ce que c’est que ces coups de canifs
Qui r’montent du coin des yeux vers les tifs ?
Je vais pas faire un mélodrame, mais ce sont des rides, Messieurs Dames !
Alors y’s’détériore, le rose caoutchouc fort qui colle notre corps…
C’est ton âge, faut pas que tu pleures,
Mon pauvre Toto, trente ans, rien que du malheur…
Trente ans, trente ans, l’âge mûr…
Où l’on s’aperçoit qu’on peut pas compter sur
L’élasticité du tissu, c’est sûr… (Souchon)
Ben oui, c’est mon âge, faut pas qu’je pleure, mon pauvre Cissou, trente ans… que du bonheur. J’ai eu trente ans, je suis content, bonsoir…
Bien à vous, et merci à ceux qui y ont pensé ! A la prochaine…
Cyril, Cy-real, Cissou, Cyrilou, professeur Chicraôte, etc.