Tresses, rouille et baïfalisme

Pikine, dimanche 11 juillet 2010

Pour le bon sommeil, il faudra repasser. La chaleur étouffante et les moustiques ont fait de la nuit un nouvel enfer… Juste après le petit déjeuner, assis à l’ombre face à l’entrée de la cour, Kiné vient nous prévenir qu’un mouton va être tué devant la maison. Nous feignons l’indifférence tandis que la bête est égorgée, puis bientôt dépecée et découpée par des mains expertes.

Claire est allée acheter des mèches avec Mamy Sow : une longue séance de tresses démarré bientôt (6 heures en tout), seulement interrompue le temps du repas. Comme l’activité est au ralenti ce dimanche (impossible notamment de trouver un cyber ouvert), je rouille littéralement en jouant avec les mômes, en rédigeant le cahier, en m’adonnant à la lecture fragmentaire (j’ai commencé trois livres en même temps) ou en m’abandonnant à la sieste-sur natte, sous l’arbre des Touré.

Vers 17 heures, la séance de torture volontaire s’achève pour Bichetteka, qui remercie chaleureusement ses deux tresseuses (mais depuis quand remercie-t-on ses tortionnaires ?!)
Impatient de… bouger, enfin, je lui propose d’aller saluer la famille Kane, second rituel incontournable à Pikine.

Il y a là “maman Kane”, papa Kane, le grand talibé Cheikh avec sa femme Aminata et leur premier enfant, un garçon prénommé Mame Cheikh Ibrahima Fall (en hommage au premier disciple de Cheikh Amadou Bamba), et aussi Vieux, le petit frère (qui n’est plus du tout petit). L’accueil est plus que chaleureux, même si Cheikh et la maman reprochent gentiment à Claire de ne pas être venue les saluer lors de sa dernière visite à Pikine. Cheikh en rajoute une couche sur le plaisir de nous recevoir : “Cyril il vient tout le temps, ici c’est sa maison !”

Dans cette fervente famille musulmane, la télé est branchée sur Touba TV, qui diffuse ce jour là des conférences en hommage à un grand marabout récemment décédé. Mais papa Kane arrive et zappe sur la finale de la coupe du monde de football. Le foot, prioritaire sur la religion mouride ? Je les charrie gentiment sur la question.

Cheikh nous invite bientôt à prendre le café Touba dans la chambre où il a emménagé avec sa femme. Le mobilier tout neuf témoigne d’un événement récent que Cheikh raconte en souriant : le jour du mariage, il a emmené Amy directement à Touba, pendant que sa mère et tous les invités les attendaient à la maison !…
Il ne désespère pas de me faire découvrir Touba, la capitale mouride qui est à la fois l’âme et le cœur du “baïfalisme” ; il espère pouvoir prochainement y acquérir une maison pour accueillir famille, amis et correligieux.

Le café touba est aussi délicieux que le moment d’échange partagé avec Cheikh. La grandeur d’âme et l’intelligence sereine de ce jeune homme plein de ferveur m’évoquent le chanteur Abd Al Malik, autre messager d’un Islam tolérant et éclairé.

La nuit est tombée, nous déclinons à regret l’invitation à dîner pour ne pas inquiéter Kiné. La finale est partie en prolongations (0-0) et n’a pas encore livré son verdict lorsque nous retrouvons Amy Libin et Mamy Sow  scotchées devant l’écran. Les filles jubilent lorsqu’Iniesta vient offrir la coupe du monde à l’Espagne, au son des vuvuzelas. Étonnamment, la Sénélec a réussi l’exploit de ne pas opérer de coupure de courant pendant la rencontre, alors qu’elle avait privé les pikinois de la fin de match des deux demi-finales…

Après avoir fait honneur au mouton, nous rejoignons la chambre, pressés par la première pluie du séjour. Mais je n’oublie pas le ventilateur (réparé) qui va nous offrir une nuit sereine – réparatrice elle aussi.

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