Pikine, lundi 12 juillet 2010
Finalement, nous ne partons pas ce jour à N’Dangane. Une nouvelle cérémonie rituelle de n’deup est prévue ce jour à la maison Touré, interdisant tout départ prématuré, même si Claire comme moi a déjà assisté à cet événement de la culture bambara. Dès le matin, la petite cour est en effervescence : on s’active en cuisine, les visites se succèdent et ça rentre et sort à tout-va.
Je fuis l’agitation en me réfugiant dans un cyber. Je sais qu’à ce moment-là, ma tante repose au cimetière de Saint Jean et mes proches sont ensemble au restaurant…
A mon retour vers midi, un barnum a été dressé dans la rue, la plupart des invités sont arrivés et les “cadres” du n’deup ont tenu leur réunion secrète dans une des chambres. Tout le monde quitte bientôt la cour pour aller s’installer dans la rue où va se dérouler la suite de la cérémonie.
La suite ? Elle commence par le sacrifice de cinq ou six poules, égorgées d’un coup sec puis jetées en l’air avant de retomber au sol en effectuant des soubresauts-réflexes désespérés. Entre deux coups de couteau, le marabout a tout de même pris le temps de répondre à son portable…
Vient le tour des chèvres, plaquées au sol puis saignées avant d’être immédiatement découpées. Et enfin, à tout seigneur tout honneur, le pauvre zébu est traîné, retourné, ficelé et égorgé, se vidant de son sang en formant une flaque sur laquelle les mouches se précipitent…
Deux autres jeunes toubabs (en vacances dans le quartier) se sont mêlés à la foule de mômes attirés par ce macabre spectacle. L’un d’eux commente : “on ne veut pas voir ça, mais on ne peut pas s’empêcher de regarder…”
Les djembés et les chants ont repris de plus belle. Deux jeunes filles “malades”, voilées de blanc, sont présentées au marabout chargé de les désenvouter ; elles tournent en procession en suivant l’un des meneurs. Ce sera tout pour l’heure puisque les innombrables plats de thieboudien sont avancés… Fotigui nous invite à le rejoindre dans la cour de la maison voisine où les cuisinières s’activent pour assurer le service.
Temps mort. Plus rien ne se passe pendant plus de trois bonnes heures, hormis les séances de palabres qui se tiennent à tous les coins de rue. C’est aussi le moment privilégié pour déguster nos premières verres de thé, à l’ombre d’un acacia, en compagnie de Balla et Fotigui.
Vers 17h30, les chaises se redisposent autour de la tente. Fotigui a retendu son djembé, le chanteur teste la sono qui émet un terrible larsen.
Et puis les chants donc, lancinants et poignants. Et puis les djembés (Fotigui a rejoint la troupe de Balla). Et puis le son du tama – tambour d’aisselle – joué par un vieux qui envoûte Bichetteka (euh… le son du tama, pas le vieux !). Et puis les premières danses, de plus en plus rythmées et inspirées. Et puis les premières transes…
La première à succomber est une dame assez âgée. Son regard est blême, son pagne dénoué laisse entrevoir sa poitrine, elle titube soutenue par deux personnes avant de s’effondrer. Une autre est déjà en train de danser, désordonnée, dans une démarche peu assurée. Les meneurs l’accompagnent du regard, viennent lui prendre la main ou la saisissent à bras le corps quand le délire devient plus marqué…
Les djembés accompagnent chaque déplacement, invitent les envoûtées à danser, sauter, libérer. Quand le rythme s’accélère, Fotigui se lève pour cogner plus fort sur son instrument, le sourire aux lèvres (“Bounama Touré, sors de ce corps !” me glisse alors Bichetteka tant la ressemblance dans les attitudes de jeu est frappante entre père et fils.)
Une troisième femme au teint clair a perdu sa coiffe. Elle défile devant l’assistance, mais ne regarde personne. Elle tousse tel un cheval, tente de franchir la barrière des spectateurs pour entrer dans la cour. Sur le seuil de la porte, je ne suis pas très rassuré à l’idée de la croiser et je m’échappe bien vite un peu plus loin !
On appelle à nouveau les deux jeunes filles voilées. L’une est malade, l’autre a plein de problèmes, ne trouve pas de mari… Là encore, ce sont les percussions et les danses qui libèrent les “envoûtées”.
J’ai parfois l’impression d’assister à un spectacle scénarisé comme un match de catch, avec des premiers et des secondes rôles, des entrées et des sorties, des temps morts et des temps forts… Mais je perds le fil, on ne sait bientôt plus qui soutient qui, qui est en transe et qui ne l’est pas ou plus. La pluie vient interrompre prématurément le cérémonial. Nous courons nous abriter dans la chambre.
A la nuit tombée, nous revenons à la maison Touré où des groupes se partagent des plats de chèvre ou de boeuf. Kiné s’empresse de nous apporter un petit plat, que nous avalons sur un banc posé en pleine rue.
Balla nous rejoint peu après et nous propose d’aller boire une bière au “Ravin”, un espace bar-restaurant-salle de concert situé pas très loin, côté Guiedawaye. Au bar de ce lieu surprenant (où je crois vaguement me souvenir être déjà venu), nous savourons notre première “gazelle” du séjour (et même une seconde en ce qui me concerne, encouragée par Balla).