Vendredi 27 septembre 2002, Fès-Khenifra
Avant Fès, je n’avais jamais mis les pieds dans une ville, jamais observé ce grouillement affairé des ruelles, jamais senti sur mon visage ce souffle puissant comme le vent du large, mais lourd de cris et d’odeurs… (Amin Maalouf, Léon l’Africain)
L’étape : Fès (Maroc) – Khenifra (Maroc)
En matinée, visite de la Médina de Fès avec guide Mohamed ; très grosse sieste au camping qui nous vaut de payer une seconde nuit pour n’avoir pas libéré l’emplacement à temps (dans un camping désert, on pensait pas que ça poserait un problème !). Passage au cyber de Fès pour tenter de débloquer le portable (message à Lolo)… En route avec un nouveau changement d’itinéraire : tant pis pour Rabat, nous prenons la route qui borde l’Atlas via Ifrane, Azrou, Khenifra. Cassoulet by night en pleine cambrousse et sieste avec concours d’étoiles filantes ! Nous reprenons la route pour quelques kilomètres… nuit dans un champ à la belle étoile entre Khenifra et Beni Mellal.
Kilomètres du jour : 200. Depuis le départ : 2600.
Les SMS du jour
– Lolo, 14h50 : ” Que du bonheur… Je ne sais pas si c’est moi qui t’ai inspiré avec mon Jésus et mon Chablis pour le titre de ton mail… En tout cas vous avez la vie belle ! Continuez à nous faire rêver et à nous faire regretter de n’être pas partis avec vous… Grosses bises les Brads ! Lolo “
– Cy-real & Philou (Service Clients du portable de Cy-real) : ” DEPASSEMENT PLAFOND DE CONSOMMATION – CONTACTEZ D’URGENCE LE SERVICE CLIENTS “
L’image
Les tanneurs de Fès – L’image fait partie de la photothèque mondiale : elle est présente dans tous les beaux livres sur le Maroc. Plusieurs maisons mettent leurs terrasses à disposition pour une vue aérienne du tableau. Par chance, notre guide ne me ramène pas sur la même terrasse que trois ans plus tôt : cela m’offre un nouvel angle de vue pour les photos. Le décor lui ne change pas, la scène est immuable, les couleurs sont toujours aussi vives, les contrastes toujours aussi marqués. Selon un rituel ancestral, les tanneurs remettent cent fois leur ouvrage sur le métier remuant les cuves, trempant les peaux, martelant le cuir. Les odeurs demeurent fortes, et je m’amuse de ces touristes aux narines délicates qui tentent de s’en préserver en se promenant avec un petit bouquet de menthe sous le nez…
En passant dans la boutique pour redescendre, Philou se laisse tenter par un magnifique chapeau et une paire de babouches, négociées tant bien que mal. La très forte odeur de cuir embaumera Titine jusqu’au bout du parcours…
Le détour
Au pied de l’Atlas – Tant pis pour Rabat et son ambassade de Mauritanie, et tant pis s’il faut payer le visa cinq fois plus cher à la frontière : nous décidons de poursuivre notre traversée bucolique du Maroc, en longeant les montagnes de l’Atlas à travers le pays berbère. Nous retrouverons la côte à Essaouira, étape obligée, via Marrakech. Pas une seconde nous ne regretterons notre choix, émerveillés par le charme des villages traversés et la diversité des paysages de montagne. Entre forêts et nature verdoyante, nous découvrons la Suisse Marocaine en traversant Ifrane, dont l’altitude et le climat ont permis de faire l’unique station de sports d’hiver du pays !
Quelques kilomètres après Azrou, traversée au soleil couchant, nous empruntons un petit chemin pour pique-niquer au calme dans les montagnes… Petit moment de bonheur en comptant les étoiles filantes qui fusent dans la nuit noire. Une dernière pause pour prendre le thé à Sidi Addit avec un autochtone très attachant, et nous garons Titine en bord de route avant de dérouler couverture et matelas dans un champ en contrebas. Au loin les chiens aboient, la caravane passe (quelques camions de temps en temps), je m’endors en contemplant les étoiles…
La rencontre
Les flics marocains – Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on aura pas été embêtés. Souvent arrêtés, mais toujours avec une courtoisie irréprochable. Si on a rencontré beaucoup de marocains très sympas partout, les policiers de sa majesté méritent qu’on leur tire un coup de chapeau pour les égards avec lesquels ils nous ont traités d’un bout à l’autre du pays. Conséquence de la mansuétude exigée par le roi à l’égard des touristes, de la sympathie dégagée par Titine et ses couleurs bariolées ou de notre légendaire “zénitude” de routards face à chaque arrêt imposé ? Sans doute un peu des trois. Même lorsque Philou un peu trop grave en cannes au volant s’est fait rappeler à l’ordre deux ou trois fois (excès de vitesse en rase campagne, refus de priorité dans le centre de Fès), nous l’avons joué profil bas et tout s’est terminé par une gentille réprimande et un grand sourire.
Certains agents ne nous ont parfois même pas contrôlé nos papiers, voulant simplement nous saluer, nous souhaiter la bienvenue au Maroc, parler de la France ou admirer Titine… Nous nous sommes prêtés au jeu avec un réel plaisir. Nous étions d’ailleurs tellement potes avec eux que nous les sollicitions dès qu’on avait un doute sur l’itinéraire. Je me souviens de ce jeune agent qui nous a indiqué la route de la banque à Ifrane avec un souci de précision assez comique : “La première à droite, tu prends pas. La deuxième à droite, tu prends pas. La troisième à droite, tu prends pas… Si, c’est bon, tu peux la troisième c’est bien !”
La p’tite histoire
“Pas payé” – Nous traversons Sidi Addit en fin de soirée et Philou propose un arrêt pour prendre le thé avant de chercher un coin pour dormir dans la montagne. Nous nous arrêtons à une terrasse et le tenant du boui-boui nous sert puis vient s’asseoir avec nous : visiblement, il a envie de discuter. Le problème, c’est qu’il cause pas très bien la France, et les échanges sont assez difficiles. Affichant un sourire permanent, il insiste. Quelques mots attrapés (“Espagne”, “pas payé”, “rivière”) et quelques gestes explicites (il fait le signe de quelqu’un qui part en montrant la direction derrière lui), je crois comprendre qu’un jour des clients espagnols sont partis sans payer et qu’ils ont été jetés dans la rivière derrière sa maison en guise de châtiment… Ce n’est qu’après maintes reformulations que nous saisirons qu’il parle des passagers sans “pas payé” (sans-papiers !), qui tentent de quitter clandestinement le Maroc pour l’Espagne en traversant la “rivière”… la Méditerranée !
L’œil de Philou
“La médina où je craque sur plein de chose comme un gosse devant un magasin de jouets, le plaisir de conduire au milieu des “sauvages” et le visage décomposé de Cyril lorsque je suis au volant. Le pot de Nutella qui commence à accuser le coup. La plaine aride de Fès, la montée sur Ifrane, les couleurs au soleil couchant, la station de ski, le cassoulet dans les montagnes sous les étoiles. Pas de “ratés”, pas de mauvaises surprises, du bonheur à plein temps.”
Et dans le magnéto…
- L’ambiance des souks de Fès