Nous franchissons alors le barrage de Diama sur le fleuve Sénégal, sans omettre de payer une énième taxe à prix négociable. Nous en profitons pour nous séparer de nos derniers Ouguiyas (monnaie mauritanienne). Ils nous restent quelques dirhams et 8 euros (ce détail aura de l’importance par la suite).
Passés devant le douanier chargé de nous délivrés le visas, nous constatons bien vite que nous sommes en Afrique noire. Il veut nous faire payer une taxe supplémentaire (traduite en français par taxe spéciale toubab). Non seulement nous ne connaissons pas l’existence de cette taxe mais en plus nous n’avons plus du tout d’argent (peut être 20 euros au total). En discutant avec lui nous constatons qu’il s’agit en fait d’une taxe toubab ou bakchich. Nous refusons de payer le ton monte. Il argumente en nous disant que les Espagnols qui nous ont précédés avaient payés 25 euros par personne mais que pour nous se sera seulement 15 euros chacun !!! Il nous conseille d’aller voir l’autre douanier pour les formalités de la voiture.
A la douane (voiture) nous tombons sur un jeune homme honnête qui visiblement nous confirme nos impressions sur la personnalité de son collègue. Une fois réglées les formalités légales (passavant), il nous reste en tout et pour tout 8 euros pour assurer la voiture. Bien entendu l’assurance pour 5 jours dépasse de loin cette somme et nous ne pouvons obtenir une assurance de quelques heures juste le temps de rallier St-louis.
Nous partirons donc sans assurances (hic !!!) Mais auparavant il nous faut nos visas.
De retour au bureau de notre ami douanier, les palabres reprennent de plus bels. Fort de certitudes sur la malhonnêteté de l’homme et sur notre bon droit, je lui annonce clairement qu’il est hors de question de lui donner une quelconque somme d’argent. Qui est plus je lui fais comprendre que nous ne sommes pas dupes de ce son manège et qu’il lui aurait fallu nous faire un reçu en échange. Le ton monte de des deux cotés et Cyril reste impassible. Le douanier nous menace, braille, au point qu’a un moment il nous hurle que la frontière sera gratuite demain mais que nous devrons dormir ici ce soir. Bon ce n’était pas prévu mais je suis remonté comme un coucou cuisse et donc je passerai la nuit ici. De rage je monte dans la voiture et moteur hurlant, je fais une marche arrière pour me ranger à proximité du poste de douane et préparer le bivouaque. Notre homme constate une fois encore notre détermination et s’énerve davantage. Il a désormais sorti les menottes. Le gardien du barrage vient alors pour me calmer tandis que d’autres personnes s’occupent du douanier. La plupart des personnes présentent sur la frontière (20 personnes environ) sont au fait de la situation et surtout savent que nous sommes au Sénégal pour une œuvre et que nous n’avons pas d’argent en poche, même pour payer l’assurance qui, elle, est légale et obligatoire. Cyril est toujours apparemment impassible et les Sénégalais se chargent de ramener à la raison notre douanier. Bon an mal an, il accepte de tamponner le passeport de Cyril mais on m’explique qu’il me faut m’excuser pour obtenir la même faveur. Je n’ai nullement l’intention de m’excuser, tout au plus j’adopterai profil bas pour ménager notre douanier. Je le rejoins dans son bureau, il finit de remplir mon passeport, il m’offre encore quelques gentillesses et je conclue en lui disant merci et à bientôt à N’Dangane ou je saurai le recevoir dans les règles de la Téranga sénégalaise.
Environ deux heures après notre arrivée nous voilà au Sénégal (sans assurance mais plein de joie et d’espoir) sur la route de St-Louis par la piste avant de retrouver les routes bitumes. Passablement excité par cet épisode rocambolesque, j’envoie grave sur les 20 km de piste en tôle ondulée. Titine est grave en canne et je lui en fais voir; un vrai gosse jouant en vrai à Colin Mc Rae. J’en profite pour enregistrer sur le magnéto mes premières sensations “à chaud ” sur le Sénégal.
Cyril m’impressionne de zénitude, il me laisse me défouler jusqu’au moment ou visiblement inquiet de ma conduite, il me demande de ralentir. Je ralentis donc en même temps que ma poussée de fièvre diminue.
Les gens de l’assurance nous avaient garantis 3 ou 4 barrages de police avant St-Louis et nous nous préparons psychologiquement à expliquer les raisons de l’absence d’assurance et peut être même récolter des amendes. Arrivée sur le bitume, reste environ 40 km à faire et nous n’avons pas vu notre premier barrage de police. Enfin il se profile à l’horizon, j’ai l’impression qu’ils veulent nous arrêter. Toujours est-il que le policier me fait un signe que j’interprète comme un signe d’arrêt. Maladroitement je coupe la file de gauche pour m’arrêter sur la gauche de la chaussée. Le policier pas aimable s’avance vers moi, pour me demander ce que je veux. Je lui réponds “rien” alors il m’engueule fort justement pour me demander pourquoi je m’arrête ainsi. Je me sens un peu con et surtout énervé de mettre jeté dans la gueule du loup. M’enfin le policier nous laisse repartir sans nous demander notre assurance. Ouf ! un barrage de passé. Nous ne rencontrerons aucun autre barrage jusque St Louis.
Arrivé dans la banlieue de St-Louis nous nous mettons en quête d’un distributeur d’argent; 2000 km sans en apercevoir un seul, imaginer un peu pour nous occidentaux !!! Nous stoppons devant la BNP, soulagement Coïncidence nous tombons sur un couple FRANCO-SENEGALAIS rencontrer dans le désert puis à NOUAKCHOTT. Petits échanges pour apprendre qu’ils ont eu des problèmes à la douane de ROSSO et qu’ils ont fait un crochet par St-Louis pour trouver de l’argent et régler leurs dettes auprès des douanes. Rassurés de constater que ce couple vivant à DAKAR a eu lui aussi son lot de problème avec la douane, nos têtes de Skinheads à bonne bouille ne sont pas la cause des problèmes !!!
Dans la circulation pour joindre St-Louis nous avons dès lors le temps d’observer ce pays. Cyril qui connaît ouvre ses grands yeux d’enfants, moi qui ne connais pas me surprend de plein de chose. Tout d’abord la vie exubérante, l’animation puis ensuite les couleurs vives de la ville de la population (après la Mauritanie ou tout est blanc; tenue vestimentaire comprise, on perçoit de suite une philosophie de vie différente). Nous entendons aussi nos premiers “toubab, toubab” lancés par les enfants sur notre passage. L’état hallucinant du parc automobile me fait planer. Le désœuvrement, l’insalubrité, l’état dépravé de l’habitat surprend aussi.
Nous croisons notre premier stade de football ou règne une ambiance de feu. Le Sénégal est un pays de football à plein de titre. Tout d’abord les stades sont bondés et bruyants (même à priori pour un match de quartier), les enfants jouent au football dans les rues et la plus part des gens porte des maillots de football du monde entier. On pourrait même croire que le costume traditionnel masculin est le maillot de football. Évoquons aussi la conduite sénégalaise, elle est aussi sauvage qu’au Maroc, aggravé d’une utilisation très fréquente du klaxon, de véhicules pourris, d’absence de panneau de signalisation et de chaussée minée. Mais cette apparente désorganisation et ce choc culturel n’entame pas notre joie (bien au contraire) d’atteindre le pays de la Téranga (hospitalité sénégalaise).
Cyril souhaite que nous rallions un hôtel pour la nuit. Je bougonne en raison de notre manque d’argent mais je me laisse convaincre. Nous traversons un bidonville de St Louis avant de débarquer à l’hôtel “l’oasis”, le bien nommé. Bien accueilli par un gérant français nous dégustons notre première bière fraîche depuis longtemps, un pur moment de bonheur après une étape longue et fatigante, voir énervante.
L’hôtel est quasi-vide, il est placé entre le fleuve Sénégal et les immenses plages océaniques de St-Louis. A l’intérieur des cases en pailles et des bungalows sont bâtis dans un style sénégalais (fenêtre en bois exotique, moustiquaire et toit de palme). Au milieu de l’habitat serpentent des petits chemins empierrés en coquillages bordés de fleurs colorées et d’arbres. Je suis ébloui par temps d’exubérance végétale et de couleurs après une longue traversée d’étendue aride. Nous apercevons aussi de nombreux oiseaux colorés et des varans ou lézard
Arrivé à notre bungalow nous découvrons une chambre décorée avec des tissus sénégalais, des meubles en rotins et cocotier, 4 quatre grands lits confortables, et …. une salle de bain digne de ce nom. Le premier réflexe de Cyril est de se jeter sur la douche qu’il qualifiera de jouissive (faut dire que le cochon ne s’est pas décrassé le matin à Nouakchott !!!). Pendant ce temps je m’allonge entre deux pins sur un hamac et contemple le soleil qui se couche sur l’océan. A mon tour je me douche et comprends à ce moment ce que peut être un bonheur simple.
De retour au bar, pour une nouvelle bière toujours aussi fraîche, nous prenons les renseignements auprès du gérant pour partir manger en ville. Je remercie Cyril d’avoir insister pour que l’on se pose dans ce petit paradis. Un peu de repos et de confort nous fera le plus grand bien.
La première impression du Sénégal est réjouissante, ce pays est plein de vie, plein de couleur, plein d’accueil. Nous nous sentons déjà Sénégalais dans l’âme ….
Direction le centre ville pour manger et trouver un cyber-café. Nous retraversons le bidonville ou la vie bat toujours son plein, nous slalomons entre les enfants jouant au foot, les voitures et calèches arrêtés, les chèvres, les moutons, les ânes, les vaches, les chiens, les trous dans la chaussée, etc… Les panneaux de signalisation sont toujours aussi rares et il fait nuit. Finalement sur la place Faidherbe j’enquille un sens interdit involontairement. Un policier siffle derrière nous je ne m’arrête pas mais le bougre s’accroche, court et nous rattrape. Je sens la galère toute proche, on est en infraction et sans assurance; A nous la prison crasseuse et la sodomie dans les douches ! Le policier nous demande de nous ranger, je prépare mon argumentaire. Explications, atermoiements, excuses, je fais la totale (faut dire que depuis l’affaire du pneu, on a bossé la comédie). J’en suis quitte pour une leçon de moral. Yes !!!!!!!!!! Cyril me félicite pour ma prestation gavrochesque.
Nous nous garons devant l’hôtel de la poste. Pas le temps de sortir de la voiture, qu’un groupe de gens nous entoure.
– Salut ça va
– Ouais
– Ca va bien
– Ouais
– Et sinon ça va
– Ouais
Etc…
Nous découvrons les salamaleks sénégalais et la Téranga (pas complètement désintéressé). Tout le monde nous parle, nous questionne sur le voyage, la France, notre arrivée, notre séjour et … la vente de la voiture. Nous prenons le temps de saluer tout le monde. Un sénégalais nous propose de nous guider jusqu’à un restaurant, Cyril le reconnaît. C’est une bonne adresse et nous dégusterons un Yassa poulet excellent pour un prix modique.
Au sortir du restaurant, nous retrouvons notre ami qui nous indique la direction du Cyber le plus proche. En route nous saluerons une bonne cinquantaine de personne se proposant tous de se faire notre guide ou je ne sais quoi d’autre. Vraiment accueillant ses sénégalais !
Au cyber, nous rencontrons Bachir, jeune comptable au français exquis (NDLR: les Africains ont cette particularité d’utiliser un vocabulaire riche et peu usité en France, des mots que l’on ne trouve plus que dans les vieux livres). Nous discutons un long moment ensemble sur le trottoir avant d’entreprendre une petite balade culturelle dans les rues sombres de St-Louis. Bachir est un garçon intelligent, cultivé, tranquille. Il nous parle de son pays de sa ville et de son histoire, de sa culture. Il dénote un peu des premières rencontres faites. Nous nous quittons deux heures plus tard en l’assurant de relation future.
De retour à notre voiture, nous sommes encore interpellés pour discuter et aussi pour vendre la voiture. Nous écourtons les débats, donnant rendez-vous à nos “amis” demain. A l’hôtel Cyril s’endort instantanément habillé, je pars écrire dans le hamac en compagnie des crabes nocturnes qui hantent la plage. Rafraîchi par les alizés du soir, sous les étoiles et bercé par le clapot des vagues, je m’endormirai dans ce hamac.
Deux toubabesses sur une plage déserte »