Natitingou (Bénin), jeudi 24 juillet 2008
Je viens de traverser l’Afrique, ou presque. Il y a 3 jours j’étais à Dakar, à la pointe Ouest de l’Afrique. Ce soir je suis à Natitingou, au Bénin, à la limite “est” de l’Afrique de l’Ouest… après avoir traversé le Mali et le Burkina Faso. Bon, je vais être totalement franc avec vous, ça ne s’est pas fait en claquant des doigts, bien au contraire : j’ai sans doute passé les trois jours les plus éprouvants de ma vie africaine !
Lundi matin, j’ai quitté mon pote Ameth à M’Bour et j’ai rejoint l’aéroport de Dakar. Oui, j’ai triché un peu, j’ai pris l’avion jusqu’à Bamako. J’ai une très bonne excuse : la mythique ligne de train que j’avais empruntée il y a cinq ans ne fonctionne plus actuellement. Il y avait bien des taxis brousse, mais les pistes sont dans un état catastrophique à cause des pluies dans la région de Kayes, et il faut au moins trois jours pour parcourir les 1250 km… J’ai une autre très bonne excuse : je dois retourner à Dakar le 23 août pour prendre mon vol retour pour la France.
Dakar-Bamako en avion, c’est une heure trente de vol “sans histoires”. J’espérais je ne sais quoi, une panne de moteur, un pneu crevé, un train d’atterrissage qui ne sort pas… Rien. Bamako, donc. Tout de suite, on sait qu’on n’est plus à Dakar. Les cars rapides sont verts au lieu d’être jaunes et bleus, et leur porte arrière se ferme… Les taxis ne passent pas leur temps à klaxonner et à “pssitter” les gens. Il y a des files et personne n’invente de voies sur les bas-côtés ou les trottoirs. C’est moins sale, aussi. Le fleuve Niger donne une respiration incroyable à la ville.
Et je m’y sens bien. Surtout ce soir-là, seul sur la terrasse de mon auberge, sous les étoiles où le gardien a accepté que je dorme !
Et après coup, heureusement que j’ai bien dormi cette nuit-là…
Mardi 22 juillet 2008, 10 heures. J’ai pris un billet direct pour Ouagadougou. En misant sur une pause nocturne à mi-parcours, on aurait dû mettre environ 24 heures pour parcourir le millier de kilomètres, sur de bonnes routes. 30 heures maxi. On en a mis 40…
En fait, un trajet rectiligne sans arrêt et sans pépin, ici ça s’appelle un miracle. “Tout passe Dieu Merci”, mais à quel prix !
J’avais pris un grand car, ils sont jugés généralement plus fiables. On est partis avec une heure de retard, sous la pluie, et évidemment il pleuvait de tous les côtés dans le car. Quand la pluie s’est arrêtée, c’est la panne qui est arrivée. Une courroie, apparemment. Qu’on a changé au moins trois fois. Au bout de huit heures de route, on avait fait que 350 km. La nuit est tombée. Le chauffeur s’est arrêté à Sikasso (toujours au Mali, donc), encore bien loin de la frontière burkinabée. Avec tous mes compagnons d’infortune, nous avons donc dormi… dans la gare routière, sur des rabannes (j’ai quand même sorti mon matelas autogonflant !), sous les néons de la salle d’attente qui sont restés allumés toute la nuit, comme les deux télévisions qui jouaient plein tube chacune un programme différent. En plus de la chaleur, des mouches et des moustiques… euh, pas que du bonheur !
Mercredi 23, 6h30… Café, pain, bananes au petit dej. Le car doit partir à 7 heures. D’ailleurs ce n’est plus un car, on a perdu des voyageurs dans la nuit et les survivants pour Ouaga tiennent dans un mini-car. Mini-car, donc mini-places : environ 35 cm par personne en largeur… et en longueur, c’est bien simple, impossible de mettre mes jambes. Heureusement, le chauffeur a eu pitié de moi et d’un autre géant guinéen et nous a placés devant. On est partis… finalement à 8h30. On n’a pas eu de panne. C’est le passage à la frontière Mali-Burkina qui a été interminable : police malienne, police burkinabée, douane burkinabée (avec semblant de fouille minutieuse “juste pour faire croire et pour faire chier”), gendarmerie burkinabée… A 13 heures nous étions enfin au Burkina, mais nous n’avions fait que 80 kilomètres en 4 heures : désespérant !
Mais on repart enfin, on roule bien et on arrive à Bobo. Là on perd encore des clients et on bascule dans un mini-mini-car (si si, c’est encore plus gros qu’une voiture). Il roule bien. Et vite. On n’arrivera pas trop tard à Ouaga, inch’Allah.
Allah n’a rien voulu entendre. A Boromo (à 180 km de Ouaga), la nuit est tombée et le chauffeur s’arrête : il n’a pas de phares. Réparation. Tout le monde est claqué. Pendant qu’on désosse le mini-car, nous tombons comme des mouches, abrutis par la fatigue, la chaleur, la poussière rouge, les gaz d’échappement, la lassitude aussi. Nous repartons…. 4 heures plus tard, il est 23 heures. Nouvelle panne au bout de dix minutes, loin de la ville… heureusement vite réparée. A l’arrivée à Ouaga (vers 2 heures ? 3 heures du matin ?), personne ne dit plus rien et comme la veille s’allonge où il peut, comme il peut.
Jeudi 24, 6 heures. Le personnel de la gare routière de Ouaga réveille les voyageurs pour le Bénin, qui doivent changer de gare pour attraper leur taxi. Comme je n’ai pas l’intention de rallier Cotonou dans la journée, je démarre tranquille en voyageant par étapes. Ouaga, Fada N’Gourma encore 200 kilomètres d’avalés, dans un grand bus avec un ticket, un contrôleur, un voyageur par place et un trajet direct (un miracle, vous vous rappelez ?)
A Fada je trouve assez vite un mini-car qui part pour le Bénin mais à la frontière, mon chauffeur ne souhaite pas continuer et ”vend” ses passagers à un autre chauffeur. Problème : l’autre véhicule est une simple 505, même pas break. A Dakar, ils montent à 8 dans une 505 break (2 devant, 3 au milieu et 3 sur la banquette improvisée dans le coffre). Ici, ils sont montés à 8 dans une vulgaire 505 : 4 devant et 4 derrière. Tout ça sous le regard complaisant de la police des frontières… Du coup, j’étais moins déçu de ne pas avoir de place.
Du coup aussi, mon chauffeur se trouvait bien embêté avec un seul passager sur les bras.Il a fini par réussir à ”vendre son blanc” à un autre minicar… Et moi qui croyais que l’esclavage était aboli !
Avec un chargement de la même hauteur que le véhicule, on a un peu duré à la douane… mais finalement, je suis enfin entré au Bénin et après un ultime changement de véhicule, je suis enfin arrivé à Natitingou, ma première étape béninoise.
Au bout de soixante heures de voyage, après avoir traversé deux pays de large en long, passé une dizaine de poste frontières, dormi deux nuits de suite dans une gare routière…
Tout au long de cet interminable trajet, j’ai pensé à une citation du reporter polonais Ryszard Kapuscinski qui dit :
“Leur vie est une peine, un tourment qu’ils supportent avec une endurance et une sérénité stupéfiantes (…).”
Ce que je vis-là n’a finalement rien d’exceptionnel : je me plonge simplement pendant quelques heures dans des conditions que mes compagnons doivent affronter tous les jours. C’est incroyable que ces hommes et ces femmes (souvent avec des enfants ou des bébés) résistent aussi bien à tant d’épreuves. Et le plus incroyable, c’est que ça n’explose jamais. Il y a des impatiences, des éclats de voix de temps en temps… mais de toutes façons, à quoi bon se plaindre, et à qui ? La plupart de ceux avec qui j’ai voyagé dans ces conditions ne pourront jamais payer un billet d’avion… Il n’y pas d’alternative que ces véhicules hors d’âge sur des routes mal en point pour ceux qui veulent se déplacer. Les voyageurs savent aussi bien que les chauffeurs qu’ils ont besoin les uns des autres, et qu’au prochain déplacement, il devront affronter ensemble les mêmes tourments. Certains ont d’ailleurs continué leur route vers Cotonou, vers le Cameroun ou le Gabon…
Moi, la première chose que j’ai fait à l’auberge ce soir ? J’ai pris une bonne douche… avec plein de savon…. et je suis allé manger “chez les bonnes femmes” (les dames du marché qui cuisinent et vendent leurs plats à l’assiette pour 100 F CFA. Puis je me suis juré de choisir une vraie bonne compagnie pour le retour avec des étapes soigneusement choisies pour éviter les nuits en gare routière.
Sinon, le Bénin ? Les paysages sont incroyables, verts comme en Casamance (il pleut aussi pas mal ici en ce moment), en beaucoup plus boisés, avec des montagnes aussi, des rivières, j’ai même vu une cascade ! En attendant de vous montrer les photos, imaginez quelque chose entre les monts du Lyonnais et la Tanzanie…
Et ce soir, j’ai vu un coucher de ciel exceptionnel. Non, pas un coucher de soleil, un coucher de ciel ! Le soleil était déjà planqué derrière la montagne mais sa lumière se reflétait sur les nuages… ça a commencé par du jaune, puis du orange, du rose, dui violet, du rouge… un vrai feu d’artifice. J’ai traversé la ville, c’est à la fois très animé et très tranquille pour le voyageur… ça repose et ça apaise… en attendant demain, et les jours suivants !
De toutes façons ici, il ne peut m’arriver que des choses sans gravité… des choses bénignes quoi
Quelle aventure !
Merci pour ce partage Cy-real, qu’il est agréable de partager ce voyage dans son fauteuil, devant son ordi, même si je l’avoue, il y a tout de même énormément de frustrations aussi ! ;-(
Biz