Assis en face de Cyril et moi, elle, Katryn, jolie flamande de 25 ans, le visage harmonieux coiffé d’une chevelure blonde marqué par quelques fossettes trahissant la joie de vivre. Lui, Fernando, postier espagnol à peine plus âgé, l’air un peu plus abattu mais inspirant la sérénité du fumeur de haschisch.
Dégustant une orange pressé, dans ce restaurant d’ESSAOUIRA à la décoration typiquement marocaine, ce couple paisible contemple l’univers qui les entoure. A leur droite un couple hippie fait face à deux jeunes tourtereaux marocains visiblement amoureux. Pas évident au premier abord de déceler cet amour naissant tant les codes culturels sont différents des nôtres mais les sourires, les regards sont les mêmes, seul l’expression est plus discrète. Siégeant à notre droite, un Français drague une jeune femme marocaine. Triste sort que fait cet homme à notre légendaire réputation de French Lover, tout y passe, blague grossière, esclaffement verbal à tout rompre, attitude d’expert s’agissant de commenté la cuisine marocaine et française. Nous aurons même droit à l’attitude familière avec le personnel de service pour bien présenter que c’est lui le client.
Pendant ce temps nous dégustons notre excellente soupe marocaine. Notre voisin visiblement enclin à se faire entendre nous assure que c’est la meilleure soupe d’ESSAOUIRA. Fortiche le bougre, il aurait goûté toutes les soupes de la ville ou alors il s’agit du patron du guide Michelin local. De temps à autre je lève les yeux de ma soupe brûlante pour observer la belle flamande. A l’occasion je croise ses grands yeux verts agrémentées d’un sourire enjôleur. Elle observe par intermittence les convives du restaurant, comme pour mieux les décrypter. Ensuite elle se replonge dans la discussion avec Fernando.
Nous ne sommes pas très causants épuisés par cette longue journée et un programme chargé. Les deux heures de marche dans les ruelles et la médina de la cité ont fini par épuiser notre solde d’énergie. Cyril était au bord de l’hypoglycémie (ce qui le rendait un peu grognon d’ailleurs !!!) et les calories n’ont pas encore été digéré.
Les deux très beaux serveurs marocains nous apportent nos tagines; poissons pour Cyril, bœuf amandes pruneaux pour moi. Comme d’habitude les plats sont brûlants et il nous faut patienter un temps avant de goûter le plat. Nous mettrons ce temps à planer et pour ma part à scruter les autres clients et en particulier le couple Belgo-Espagnol. Je cherche à déterminer dans quelle langue il communique, mais le brouah généré par notre voisin m’interdit d’entendre quoique ce soit. Alors je laisse mon regard flotter et observe un long moment un à un les convives. Plusieurs fois mon regard croise celui de Katryn trahissant le fait que je lui accorde un peu plus d’attention. Les tagines ont un peu refroidi et nous pouvons entamer le met.
Le problème du pruneau est qu’il y a un noyau dedans. Et si la température de la chair baisse rapidement, celle du noyau non ! Du coup je me brûle maintes fois la langue, en pratiquant à chaque fois une sorte de couinement suivis de longue ventilation. Cette attitude a pour effet de faire rire ma voisine d’en face; encore une moqueuse. Fernando reste impassible, il dort peut-être les yeux ouverts. La dégustation dure un certain temps, toujours à cause de la chaleur.
Notre couple de hippie est toujours dans sa bulle, nos amoureux marocains reçoivent la visite d’ami, ce bon gros franchouillard déballe sa science et entonne même AICHA de Cheb Khaled. Il est drôle de voir le contraste avec sa bonne amie qui toute en discrétion rit des agitations de son galant. Difficiles de savoir s’il s’agit d’authenticité ou de complaisance.
Toujours est-il que nos vis à vis s’amuse quelque peu de l’attitude de notre voisin, seul au monde dans ce restaurant. Cyril s’agace un peu du voisinage, comprends pas ses bougonnements, il a le ventre plein ?
Arrive le moment du dessert, nous optons pour une salade d’orange et cannelle, huummm !!! suivi d’un thé marocain. La petite Katryn est toujours pétillante et comme ils ont fini le repas, ils observent et discutent avec discrétion. Cyril et moi commençons à causer et rapidement nous évoquons notre belle voisine, sur le ton de quelques plaisanteries, disons douteuses.
J’allume alors une cigarette et Katryn m’interpelle pour me demander une cigarette. Elle a l’air toute timide, dérangé et moi je suis heureux de lui offrir et de lui allumer sa cigarette. C’est aussi l’occasion de constater qu’elle parle français; le gros a côté digère. De retour sur mon fauteuil, je lance à la belle “vous êtes une marocaine”. Elle sourit, s’adresse à son ami et se met à nouveau à rire. Elle m’annonce alors que Fernando vient de lui dire que j’allais sûrement la prendre pour une marocaine, vu l’aptitude génétique des marocains à vous taxer des cigarettes. S’en suit quelques échanges simples et hop! la discussion est lancée.
Dans le désordre, Katryn est parti à 18 ans en Colombie faire de l’humanitaire dans les Favelas, ensuite au Nicaragua, est retourné en Belgique finir ces études, a voyagé un peu partout en Europe, a rencontré Fernando en Espagne, parle couramment l’Anglais, aime la nature, les rencontres, la campagne, exerce différents boulots en Espagne allant de l’accueil à l’enseignement, et fait maintenant de l’itinérant au Maroc. Fernando lui est moins causant mais on apprend qu’il est postier dans un village de “sauvage” à la campagne, qu’il vient d’emménager là bas avec Katryn, qu’il a traversé le désert en Renault 4 avec des amis quelques années en arrière et qu’il parle espagnol.
Les discussions s’enchaînent et l’humour et l’extrême la vivacité d’esprit de la belle Katryn nous transporte un peu. Fernando se lâche un peu. Malheureusement les minutes tournent et notre camping va fermer ses portes, à grand regret nous quittons nos deux amis.
A peine sortie dehors Cyril et moi s’arrêtons et à presque à l’unisson déclarons : “Je suis amoureux”, éclat de rire, puis déballage d’états d’âmes sur la chance des autres de vivre avec des gens aussi intéressants. Pour nous venger nous déblatérons un peu sur ce pauvre Fernando, souffre douleur de notre frustration du moment.
Mais diable, charmés par notre belle flamande, nous avons omis de prendre la traditionnelle photo et les coordonnées de nos nouveaux amis. Au pas de course de nous retournons au restaurant et tombons nez à nez avec eux. Petite explication sur les raisons de notre retour, et la coquine flamande nous lance deux, trois piques sur le peu de crédit qu’elle apporte à notre promesse de lui envoyer la photo. Elle a tout compris sur la nécessité de bien stimulé l’orgueil masculin pour atteindre son objectif. Piqué au vif, Cyril et moi arguons qu’elle verrait bien que nous sommes des mecs fiables, des vrais quoi !!!
Sur le trajet du retour nous parlons encore d’eux et un peu sur notre programme de demain.
La nuit passée au camping miteux, nous reprenons la direction de ESSAOUIRA pour une visite diurne de la cité. Nous commençons par le port, un peu frustré de ne pouvoir embarquer à la journée sur un sardinier; c’est le jour chômé pour les pécheurs.
Petit crochet par les chantiers navaux ou nous rencontrons un menuisier de marine répondant au nom de MOHAMED (va falloir vous y faire) qui se propose gentiment de tout nous expliquer la construction des différents type de bateaux en bois utilisé dans la pêche locale. L’homme est passionné et connaît parfaitement le métier. Il nous montre tout nous explique les différentes phases, les durées, les essences de bois, l’accastillage, l’étanchéité et la mise à l’eau.
Nous sommes extrêmement heureux de l’heure passée avec Mohamed et bien plus au fait de l’architecture navale marocaine. Petite photo sur une coque en construction avec la ville et le port en arrière plan. Mohamed nous rappelle qu’il a été très gentil avec nous, nous lui tendons un billet de 20 Dirhams pour le remercier. Visiblement heureux, il nous offre une virile poignée de main et nous souhaite bon voyage.
Direction ensuite les remparts pour des vues panoramiques de l’ancienne MOGADOR, puis détour par les ruelles de la cité fortifié. ESSAOUIRA est une ville de pêche et d’artisanat. La dominante est la marqueterie mais on y trouve potier, tisserand, couturier, chaudronnier, peintre, sculpteur. Cette ville est très belle et apparemment tranquille. Nous apprenons aussi qu’il y a une colonie juive importante ici.
Achat de carte postale; passage obligé pour notre pierrot harpagon, le thé du matin, et il est déjà l’heure de prendre la route pour le Sud marocain. Encore une très belle étape pour les skinheads à bonne bouille. Nous devons avoir une fée qui veille sur nous.
Avant de quitter la ville, il nous faut trouver un nouveau pneu après notre première crevaison de la veille. Direction un garage, comme il en existe des centaines au Maroc. Le jeune homme nous propose un pneu d’occasion à 400 Dirhams, nous négocions ferme arguant notre manque de moyen, la vieillesse de la voiture, l’imprévu, tout quoi. Finalement nous paierons le pneu 400 dirhams. Penserai à prendre des cours de comédie ou de négociation pour le prochain voyage. La seule compensation que nous recevrons sera l’adresse d’un petit café ou prendre un bon petit déjeuner marocain en attendant la réparation. Bonne adresse, propreté impeccable (dans le référentiel marocain s’entend !), excellente nourriture, prix modique. Bon on s’est fait un peu arnaqué sur le pneu mais pas sur le petit déjeuner; on se console comme on peut !!!
Au sortir de la ville nous retrouvons les décors de la veille au soir, désert de pierre, quelques dunes de sables, quelques dromadaires, et peu de végétation. Un paysage assez uniforme sous un soleil de plomb. Direction TAN TAN bivouaque potentiel du soir.
Nous traversons AGADIR mais shuntons l’arrêt. C’est une ville touristique avec de nombreux hôtels sans grand charme apparent. Seul le port semblait avoir un intérêt (plus grand port sardiniers marocains et d’Afrique de l’ouest) mais il nous reste encore beaucoup de route et nous avons déjà beaucoup visité. Cyril ressort un texte de BOBIN qui résume parfaitement notre sentiment:
J’ai tout. Chaque matin j’ouvre les yeux et je me découvre milliardaire. La vie est là, discrète, bruyante, colorée, petite, immense. Le chaos, le ciel et les étoiles ont bâti cette merveille pour moi, pas que pour moi, bien sûr, mais est-ce ma faute si je sais reconnaître un cadeau, est-ce ma faute si je ne fais pas grise mine devant ce trésor, est-ce ma faute si je n’ai pas le goût de faire le tri et si tout me vient comme une chance ?… (Christian Bobin, Geai)
« Un Eden au milieu de nulle part