St Louis (Sénégal), 3 octobre 2002
La nouvelle est tombée quelques jours avant mon entrée au Sénégal. Du Maroc où l’info me parvient, la dépêche est sommaire, imprécise, insuffisante : un bateau a coulé au large du Sénégal, il y a beaucoup de morts. Je n’en saurais évidemment pas plus en traversant le désert mauritanien mais parvenu à St Louis, la tragédie prend toute son ampleur.
Ce n’est pas un bateau qui a coulé, c’est le Joola. Ce navire mythique auquel Thalassa avait consacré un long reportage en 2001, diffusé quelques semaines avant mon premier séjour au Sénégal. Ce bateau que j’avais photographié de la chaloupe pour Gorée (cf. ci-dessus) alors qu’il était en réparation dans le port de Dakar. Ce bateau au bord duquel j’avais même imaginé voyager…
Pour le peuple sénégalais, c’est un drame humain sans nom. Des chiffres circulent : un milliers de morts, peut-être deux, pour 75 survivants… Le bateau pouvait accueillir 600 personnes. Là, à quelques jours de la rentrée scolaire, on parle de 1500 à 2000 passagers qui seraient montés à bord pour rejoindre Dakar, hommes, femmes et enfants. Combien sont-ils, de Dakar à Ziguinchor, à avoir perdu un parent, un cousin, un enfant, un ami ?
Voici ce qu’on pouvait lire sur la page d’accueil du site de l’Association des Familles des Victimes du Joola :
Le 26 Septembre 2002, à 23h00 le ferry sénégalais Le Joola se retournait au large de la Gambie, entraînant dans l’horreur et la mort plus d’un millier de passagers. Parmi eux figuraient nos proches… L’alerte n’a été donnée que le 27 septembre à 07h30. Les moyens d’intervention et de sauvetages ne furent sur place qu’aux environs de 17h00. Nous ne pouvons imaginer, ce que furent ces heures de combat contre la mort qu’ont enduré des centaines de passagers…
Au-delà du drame humain, ce naufrage a également de graves conséquences économiques pour des milliers de personnes, tant le bateau représentait un relais essentiel entre la capitale et son “grenier”, la Casamance.
Le Joola ou l’âme de toute une région
Les Sénégalais pleurent leurs morts, mais versent aussi des larmes pour un navire pas comme les autres : Le Joola. Inauguré le 10 décembre 1990 par Madame Elisabeth Diouf, le bateau Le Joola a sombré en mer, dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002, avec hommes et marchandises. La fin d’un long épilogue marqué par des jours joyeux et des moments de douleur pour les nombreux passagers des quais de Ziguinchor et de Dakar qui ont parfois mal supporté les pannes répétées d’un bateau vraiment indispensable à l’épanouissement et au désenclavement d’une région : la Casamance.
Depuis sa mise en service il y douze ans, il effectuait près de 85 rotations par an à raison de deux rotations par semaine, avec une moyenne de 3000 heures de fonctionnement du moteur.
Symbole d’intégration, relais entre le sud et le nord du pays, le bateau a acquis sa célébrité et sa légende, à travers ses odyssées pour le retour des soldats sénégalais en Guinée-Bissau. Également des rapatriés sénégalais de la Sierra Leone et du Libéria.»
Yacine KANE – Sudonline (quotidien sénégalais)
Le tragique événement mobilise la une des journaux pendant plus d’un mois. Un éditorialiste sénégalais fustige les médias des grandes nations occidentales, qui profitent de l’occasion pour faire un inventaire indécent et macabre des drames africains, passant sans transition du naufrage du Joola à la guerre civile qui vient d’éclater en Côte d’Ivoire. La seule actualité qui les amène à parler de l’Afrique…
Une semaine après le drame, le ministre de l’Équipement et des transports (Youssouph Sakho) et celui des Forcées armées (Youba Sambou) démissionnent. Le chef de L’État sénégalais demande par ailleurs à son haut-commandement militaire “de proposer des sanctions contre les fautifs”.
C’est également le branle-bas de combat général dans les transports routiers sénégalais, avec un renforcement annoncé de la législation et des contrôles plus sévères. En clair, les taxis-brousse “7 places” (505 break) ne devaient plus embarquer que 4 passagers au lieu de 7, les “N’Diaga N’Diaye” (minibus inter-urbains embarquant jusqu’à 32 personnes dans des utilitaires reconvertis en transports en commun) devaient également limiter le nombre de passagers. Sur ce plan-là, le principe de réalité sénégalais a bien vite relégué les déclarations d’intention aux oubliettes…
Le 7 août 2003, le dossier judiciaire était classé… sans suite (!!!) par le procureur général de la cour d’appel de Dakar, au motif que le commandant du navire, maître à bord et jugé responsable du drame, a péri dans le naufrage. Les responsabilités ont été bien situées, mais il n’y a eu que des sanctions administratives (Abdoulaye Wade a relevé de leurs fonctions sept officiers et militaires de carrière, dont le chef d’état major général des armées pour leur responsabilité supposée dans le naufrage). Aucune sanction pénale !
L’affaire a été noyée au Sénégal, mais pas encore en France, où l’association des familles des victimes (AFV) du Joola a obtenu l’ouverture d’une information judiciaire en avril 2003 pour « homicide involontaire » et « défaut d’assistance à personnes en péril ».
Pour aller plus loin :
- Naufrage du Joola, un an après : de la solidarité au deuil impossible
(publié dans l’Humanité le 27 septembre 2003) - Souvenons-nous du Joola : webdocumentaire proposé par France Culture en 2012 pour les dix ans du naufrage
Et pour en savoir plus sur les conséquences du naufrage du Joola, voici deux sites incontournables : Dossier spécial Joola [Kassoumay.com] – Un dossier très complet et actualisé sur la tragédie et ses suites en Casamance et au Sénégal (récit & photos, articles de presse, communiqués officiels, interviews…) Association des Familles des Victimes du Joola – lieu d’échanges, d’informations et de discussion