Journées “ordinaires” à N’Dangane

M’Bour (Sénégal), 14 janvier 2003

“La nuit est belle, je drague la lune
Voilà bientôt une semaine qu’elle m’allume…
J’aime perdre mon temps à sourire aux anges
Ce n’est pas important si ça vous dérange
car désormais
J’obéis aux lois de la nature
Je ne me lève pas quand c’est trop dur
Je ne connais pas la peur,
Mon corps et mon coeur sont sûrs

J’ai vécu longtemps dans votre système
Le pouvoir de l’argent tout le monde l’aime
Je perdais le sommeil, je perdais mon calme
Alors, j’ai touché le soleil pour sauver mon âme
Et désormais
J’obéis aux lois de la nature,
Je ne me lève pas quand c’est trop dur…”
(Gérald De Palmas)

Salut les toubabs du froid… il paraît que 30° nous séparent, c’est dingue non ?? Je ne fais pas le malin quand même, parce que j’ai passé toute la journée de dimanche en pull et en pantalon, il devait faire quelques 20° avec un de ces petits vents frais ! C’est sûr, c’est l’hiver, d’ailleurs plein de sénégalais ont sorti les anoraks et les bonnets !!

Décembre aura été un mois de fêtes, conclu par deux méga-concerts : Youssou N’Dour en privé dans sa boîte (ambiance de folie… j’étais juste devant à deux mètres de lui !) puis Omar Pene le soir du jour de l’an, avec moi perdu au milieu de 5000 blackos en transe qui dansaient dans les tribunes du stade de Thiès !

Après la fiesta, janvier est donc un mois de boulot, parce que mine de rien je pars dans trois semaines pour le Mali et faut un peu faire avancer le projet. Bon, c’est vrai j’obéis aux lois de la nature, je ne me lève pas quand c’est trop dur… faut bien être en phase avec les gens d’ici, qui entretiennent des rapports bien particuliers avec la notion du temps ! Il vaut mieux être souple sur le plan des horaires, et ne jamais être pressé, parce que ça ne se passe jamais comme on l’a prévu. Les rencontres se prolongent très souvent autour d’une bière, d’un thiep bou dien ou d’un thé, les rendez-vous sont à prévoir retards compris, sans compter les impondérables qui constituent le quotidien sénégalais, pannes de voitures, pannes de courant, pannes de téléphone, pannes de réveil et autres siestes prolongées…
Voici les grandes lignes d’une de mes journées de “travail” “ordinaire” :
Entre 8 et 10 heures : réveil, toilette, départ pour le marché.
Etape 1 : Passage à la boutique des mauritaniens.
Moi – Salam aleykoum…
Le Maure – Malikoum salam… Na nga def ? (Comment ça va ?)
Moi – Mangui fi… (Je vais bien)
Le Maure – Yangui nos ? (Est-ce que tu te portes bien ?)
Moi – Waow… (Oui)
Le Maure – Touty rek ?
Moi – Touty rek…
Le Maure – Mborou ak chocolat ? (un pain au chocolat ?)
Moi – Waow…
Le Maure – Mborou ak chocolat… c’est bien ça …
Moi – Dieuredieuf (merci)
Le Maure – OK, dieuredieuf…
Sans mentir, c’est le même dialogue au mot près tous les matins, j’ai même plus besoin de passer commande ! Faudra que j’enregistre ça discrétement un de ces quatre…
Etape 2 : Passage chez Khady à l’entrée du marché, point de passage obligé où tout le monde se retrouve autour du café Touba.
Moi – Salam aleykoum…
Les gens – Malikoum salam… Na nga def ? (Comment ça va ?)
Moi – Mangui fi… (Je vais bien)
Les gens – Yangui nos ? (Est-ce que tu te portes bien ?)
Moi – Waow… (Oui)
Les gens – Naka soubessi ? (Comment se passe la matinée ?)
Moi – Mougui dokh boubar ! (ça marche fort !)
Les gens – Yangui ndanki ? (ou kekchose comme ça : est-ce que tu es en train de déjeuner ?)
Moi – Waow… (non non, avec mon café et mon pain au chocolat je viens faire un tennis !)
Un autre qui arrive : Salam aleykoum…
Moi – Malikoum salam… Na nga def … etc…
Bon mine de rien, tout ce rituel des salamaleks ça prend bien une bonne demi-heure le temps de saluer tout le monde !
Etape 3 : le centre de Jangalekat (10h-13h en gros)
Vers 9h30… 10h… ou 10 h30, arrivée au jardin d’enfants, où ils sont bien souvent déjà en activité avec l’animatrice :
Moi – Bonjour !
Les enfants (tous en choeur… une quarantaine !) : “Bonjour cyguil !”(ils ont beaucoup de mal avec les R dans ce pays !)
Moi – Comment ça va ?
Les enfants (tous en choeur !) – “ça va bien merci et vous ?”
Moi – ça va bien…
Après ce moment qui me file un grand sourire pour la journée, au boulot : je laisse le plus souvent l’animatrice se débrouiller avec les mômes (je lui file un coup de main à l’occasion pour les ateliers) pour aller me poser à côté dans la salle adultes, séance de lecture, potassage de docs en vrac sur l’éducation au Sénégal en vue de l’élaboration d’un document de synthèse du fonctionnement du centre, paperasse administrative pour Jangalekat, tri des archives, inventaire du matériel, préparation de la séance de soutien scolaire, etc.
A midi, pause pour aider les mômes qui rentrent chez eux à mettre leurs chaussures (ça va vite, la plupart ont des tongues !)
Autre option du matin, de temps en temps : l’école (8h – 11h30) pour assister à une matinée de classe et discuter avec mes collègues.
Etape 4 : le rendez-vous de midi chez Moussa (13h-16h)
Vers 13 heures, je vais me poser avec mon bouquin à l’ombre des flamboyants dans ma famille d’adoption, chez Moussa où sa femme Khady (la dame du café) termine la préparation du repas. Les enfants rentrent de l’école, et les uns après les autres, la vingtaine de personnes qui mangent là quotidiennement se retrouvent. (“Et la matinée, ça a été ?… Les activités ?…”)
Je crois que je vais pouvoir rester tranquille jusqu’au repas, mais non, la voisine m’appelle… Je suis invitée à manger chez Soukeye avec les antiquaires pour un “premier match” ! Parce que évidemment, lorsque je reviens chez Moussa, il faut encore manger : deuxième match ! Vendredi c’était Yassa Poisson chez Soukeye et Thiep Bou Dien chez Moussa, hier thiep chez Soukeye et re-thiep chez Moussa… Je suis pas encore un grand joueur, je simule souvent la blessure au cours du deuxième match pour me faire remplacer. (Sourna… “J’ai plus faim” !)
Mais pas possible de déclarer forfait pour l’un ou l’autre des matchs !!
Après “les” repas, traditionnelle séance de thé, qui dure pas loin d’une heure ! Bref, de 13 heures à 16 heures, le village tourne au ralenti, les rues sont désertes, c’est tambouille, thé, sieste et convivialité.
Etape 5 : soutien scolaire au CLEP avec Omar (16h-18h)
Ma mission : permettre à un jeune homme très motivé mais assez peu pédago de gérer un groupe de 15 à 20 enfants, avec 2 élèves de CI, dix CP, un CE1, trois CE2, deux CM2… Séance showtime mais ça avance, en tout cas les gamins viennent travailler avec plaisir et on a gagné en efficacité. Pour le moment je gère la moitié du groupe, mais je me mets de plus en plus en retrait puisque dans trois semaines je m’en vais et le but du truc c’est de donner les moyens à Omar de gérer ça tout seul. Y’a encore du boulot !
18 heures : 2 options
Option 1 : cours de conduite sur la plage à un gamin du village de 17 ans… Titine auto-école ! (2 à 3 soirs par semaine) puis douche à l’eau froide et trouble du puits, repos, lecture, baladeur…
Option 2 : douche puis apéro au Cormoran chez “Tata Odile” (qui débouche presque une fois par semaine par une invitation à manger un cochon de laie ou un civet de phacochère… ça change du thiep bou dien !)
Autres options possibles : sieste, séance d’ordi chez Tata Odile, télécentre, palabres au marché…
Etape 6 : le rendez-vous du soir chez Moussa
Vers 20 heures, retrouvailles avec la famille : “ça va ?”… “et la journée ?”… “et les activités ?”… “et sinon ?…” etc.
Tout le monde se donne rendez-vous devant le sacro-saint écran de télévision placée devant la maison (une 36 cm en noir et blanc, que Khady m’a demandé de remplacer par une couleur lors de mon prochain voyage entre France et Sénégal !) pour LA série préférée des sénégalais : “La beauté du diable”, une série brésilienne affligeante du style “Les feux de l’amour”, acteurs pathétiques, dialogues insipides… (là aussi ça méritera un enregistrement sur cassette audio). Au début je profitais du moment pour lire ou écrire mon carnet de voyage, mais c’est tellement nul que je n’arrive pas à me concentrer, alors je regarde et je m’amuse beaucoup de la ferveur des sénégalais pour ce grand moment de télévision !
Vient ensuite le journal de la RTS, puis le coup d’envoi du match du soir, une vingtaine de personnes qui jouent des coudes autour du plat de couscous de mil ou des boulettes de poisson.
La séance de thé du soir a été supprimée depuis quelques jours (de même que la séance de contes avec mes voisins) parce que passé 20 heures 30, les sénégalais sont frigorifiés !
Alors sur le coup de 22 heures, je rentre “aux Alpes” (c’est le nom de ma maison, situé très loin à l’autre bout du village !) avec l’ami Pape Kane sous les étoiles en suivant les chemins sablonneux. J’allume mes petites bougies dans ma case (le plus souvent c’est en fait une lampe électrique, mais ça fait moins romantique), séance courrier, carnet de voyage… Et puis je me glisse sous la moustiquaire, je lis un peu, puis je m’endors avec le baladeur mp3 sur les oreilles, hier soir c’était le Live de De Palmas: “J’obéis aux lois de la nature…”
Je profiterai du prochain message pour vous présenter le périple qui m’attend en février-mars : Mali, Burkina Faso, Niger. D’ici là, portez-vous bien et prenez soin de vous…
Bises !

Cyril, Cy-real, Cyrilou, Cissou, professeur Chicraôte, Cyguil, etc.