FÈS – Amin Maalouf (Léon l’Africain) > Philou
“Avant Fès, je n’avais jamais mis les pieds dans une ville, jamais observé ce grouillement affairé des ruelles, jamais senti sur mon visage ce souffle puissant comme le vent du large, mais lourd de cris et d’odeurs…
Tout autour de Fès s’alignaient à perte de vue des collines incrustées d’innombrables maisons de brique et de pierre, souvent ornées, comme à Grenade, de carreaux de faïence. Ce fut surtout le spectacle des toits qui m’emplit alors le regard : en cet après-midi d’automne, le soleil était adouci par d’obèses nuages, et partout des milliers de citadins étaient assis comme sur des terrasses, en train de deviser, de crier, de boire, de rire, toutes leurs voix se fondant en un immense brouhaha. Autour d’eux, pendus ou étalés, des linges de riches et de pauvres frémissaient à chaque brise, comme la voilure d’un même navire.
Une rumeur grisante, un vaisseau qui vogue de tempête en tempête et qui, parfois, fait naufrage, n’est-ce pas cela, une ville ?”
PARTIR – Cécile Chabot > Céline
Partir !
Aller n’importe où, vers le ciel ou vers la mer, vers la montagne ou vers la plaine !
Partir !
Aller n’importe où, vers le travail, vers la beauté ou vers l’amour !
Mais que ce soit avec une âme pleine de rêves et de lumières, avec une âme pleine de bonté, de force et de pardon ! S’habiller de courage et d’espoir, et partir, malgré les matins glacés, les midis de feu, les soirs sans étoiles, raccommoder, s’il le faut, nos coeurs comme des voiles trouées, arrachées au mât des bateaux, mais partir ! Aller n’importe où et malgré tout !
… accomplir une oeuvre ! Et que l’oeuvre choisie soit belle, et qu’on y mette tout son coeur, et qu’on lui donne toute sa vie.
(Cécile Chabot)
TARIFA – Paulo Coelho > YT
Le vent se mit à souffler. Ce vent, il le connaissait : on l’appelait le levant, car c’était avec ce vent-là qu’étaient venues les hordes des infidèles. Avant de connaître Tarifa, il n’avait jamais imaginé que l’Afrique fût si proche…
(Paolo Coelho, l’Alchimiste)
J’AI TOUT.. – Christian BOBIN > Alain
J’ai tout. Chaque matin j’ouvre les yeux et je me découvre milliardaire. La vie est là, discrète, bruyante, colorée, petite, immense. Le chaos, le ciel, et les étoiles ont bâti cette merveille pour moi, pas que pour moi, bien sûr, mais est-ce ma faute si je sais reconnaître un cadeau, est-ce ma faute si je ne fais pas grise mine devant ce trésor, est-ce ma faute si je n’ai pas le goût de faire le tri et si tout me vient comme une chance ?…
(Christan Bobin)
JE RALENTIS ENFIN – Frédéric Beigbeder > Dalva
J’écoute le bruit de la mer. Je ralentis enfin. La vitesse empêche d’être soi. Ici les journées ont une durée lisible dans le ciel. Ma vie parisienne n’a pas de ciel. Pondre une accroche, faxer un article, répondre au téléphone, vite, courir de réunion en réunion, déjeuner sur le pouce, vite, vite, se grouiller en scooter pour arriver en retard à un cocktail. Mon existence absurde méritait bien un coup de frein. Se concentrer. Ne faire qu’une seule chose à la fois. Caresser la beauté du silence. Profiter de la lenteur. Entendre le parfum des couleurs. Tous ces trucs que le monde veut vous interdire.(…)
Je cherchais l’apaisement, c’est ici, où il fait trop chaud pour écrire de longues phrases. On peut être en vacances ailleurs que dans le coma. La mer est remplie d’eau. Le ciel bouge sans cesse. Les étoiles filent. Respirer de l’air devrait toujours être une occupation à plein temps.
(Frédéric Beigbeder, l’amour dure trois ans)
LA VIE EST DANS LE MOUVEMENT – Jean Orizet
Pascal a beau nous dire que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre, nous sommes nombreux, écrivains et poètes, qui éprouvons le besoin d’aller découvrir le monde.
On fuit souvent pour mieux se retrouver mais au retour, on est transformé, enrichi. Le retour, l’aprés-voyage : c’est peut-être ce moment-là que je préfère. Mes yeux sont encore pleins d’images, ma tête, de sons, mes narines, d’odeurs, et en plus, ces impressions visuelles, auditives, olfactives sont déjà embellies par le soleil du souvenir. N’en doutons pas, la vie est dans le mouvement. » (Jean Orizet)
L’AFRIQUE NE VEUT POINT… – Théodore Monod > Micky
L’Afrique ne veut point pour amants des délicats ou des douillets ; il y faut le mépris des biens terrestres et l’amour de la vie primitive, et le dégoût de tout l’artificiel d’une vie trop compliquée… (Théodore Monod)
L’IGNORANT – Sotigui Kouyaté > Aymeric
…Un proverbe de la tradition africaine dit : « l’ignorant, c’est la personne qui n’est jamais allée au-delà du seuil de sa maison. » C’est la personne qui ne sait rien des autres, qui n’est jamais allée à la rencontre des autres. La progression de l’être vers le meilleur, c’est chaque jour aller à la rencontre d’une des diverses personnes que l’on a en soi et que l’on ne peut trouver que dans les autres, notamment à travers leurs cultures, histoires, mythes et légendes. Cette voie est celle de l’enrichissement, et je suis un élève apprenti. (Sotigui Kouyate, griot et homme de théâtre malien)
ÉBÈNE – Ryszard Kapuscinski > Micky
J’ai vécu en Afrique pendant des années. J’ai sillonné le continent, évitant les itinéraires officiels, les palais, les personnalités importantes et la grande politique. J’ai préféré me déplacer en camion de fortune, courir le désert avec des nomades, être l’hôte de paysans de la savane tropicale. Leur vie est une peine, un tourment qu’ils supportent avec une endurance et une sérénité stupéfiantes (…).
Ce continent est trop vaste pour être décrit. C’est un véritable océan, une planète à part, un cosmos hétérogène et immensément riche. Nous disons « Afrique », mais c’est une simplification sommaire, une facilité. En réalité, à part la notion géographique, l’Afrique n’existe pas.
(Ryszard Kapuscinski, reporter polonais, préambule de son fabuleux récit « Ebène – aventures africaines »)
CE POURQUOI L’ON S’INCLINE
Il part faire ses devoirs
Au pays de l’Afrique
Chargé de son savoir,
De sa culture d’instit’
Une année sabbatique
A donner, recevoir
A découvrir les rites
De ses grands cousins noirs.
Étranger de passage
Marchant vers son destin,
En quête de l’héritage
Laissé par les anciens.
Y apprendre le partage
Le sens du mot faim
Écouter les adages,
En être le témoin.
Chaque jour est une page
Chaque berger un gardien,
Chaque chemin un passage
Vers le monde des humains.
Marcher pour communier
Danser pour comprendre,
Aux rythmes des djembés
Offrir et savoir prendre.
Isolé loin des siens
Sans jamais être seul
Arriver en parrain,
Repartir en filleul.
Tirer sur son parcours
Le poids de ses racines,
Comprendre au fil des jours
Ce pourquoi l’on s’incline.
UNE VISITE DE PARRAIN PAS COMME LES AUTRES
“En guise de programme, la communauté prévoit un grand match de football et des chants et danses locaux ; ce qui, de l’entendement des organisateurs, est suffisant pour remplir une journée de visite.
Mais le jour J, surprise et inquiétude ! Oui l’hôte tant attendu est non seulement là, mais il insiste pour passer une semaine au village. La communauté de Goubeye présente et les membres de l’équipe de Aide et Action Niger sont partagés entre le devoir traditionnel de satisfaire les désirs d’un invité, et la crainte de ne pas pouvoir lui assurer les conditions nécessaires. Il faut savoir que Goubeye, comme la plupart des villages nigériens, n’est pas électrifié et n’offre donc pas toutes les commodités afférentes.
De plus on était quand même en mars, c’est à dire le mois le plus chaud de l’année, avec des températures qui gravitent autour de 40° en milieu de journée. La question de la restauration restait aussi une grande préoccupation. D’où entre autres, la proposition de l’installer dans un hôtel de la ville la plus proche.
Mais notre grand voyageur ne l’entendait pas de cette oreille, et affirmait qu’il voulait réellement découvrir la réalité de la vie quotidienne en brousse, les conditions d’enseignement et les interventions d’Aide et Action. Devant une telle détermination, nous nous voyons dans l’obligation de repartir sans lui, en prévoyant tout de même de repasser le lendemain pour nous assurer qu’il supportait bien ses nouvelles conditions…”
LE VIEUX BADO > Sousou
“En ce temps-là en Algérie j’étais au poil !…
J’avais du noir dans mes veines,
tu m’aurais vu courir avec mon fusil,
t’aurais dit “c’est un génie !”
“Un étranger qui vient de si loin jusque dans notre village,
il faut en prendre soin… Dieu merci, je suis très bien content.
C’est comme ça… Allez, je prends la piste…”
ALLAH N’EST PAS OBLIGÉ > Sousou
Je décide le titre définitif et complet de mon blablabla est “Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas“. Voilà. Je commence à conter mes salades.
Et un… m’appelle Birahima, suis p’tit nègre, pas parce que suis black et gosse, non.
Mais suis p’tit nègre, parce que je parle mal le français.
Et deux… mon école n’est pas arrivée très loin. J’ai coupé cours élémentaire deux, j’ai quitté le banc parce que tout le monde a dit que l’école ne vaut plus rien. Même pas le pet d’une vieille grand-mère.
Et trois… Suis insolent, incorrect comme barbe de bouc et parle comme un salopard.
Je dis pas comme les nègres noirs africains indigènes bien cravatés, “merde”, “putain”, “salaud”. J’emploie les mots malinké comme “faforo” ou “malokodé“.
Et quatre… Je veux bien m’excuser de vous parler vis-à-vis comme ça, parce que je ne suis qu’un enfant. Suis dix ou douze ans. Y a deux ans, grand-mère disait huit et maman dix – et je parle beaucoup.
C’est vrai, suis pas chic et mignon. Suis maudit parce que j’ai fait du mal à ma mère.
Chez les nègres noirs africains indigènes, quand tu as fâché ta maman et si elle est morte avec cette colère dans son coeur, elle te maudit : tu as la malédiction, rien ne marche chez toi et avec toi.
Voilà ce que je suis ; c’est pas un tableau réjouissant.
Maintenant, après m’être présenté, je vais vraiment, vraiment conter ma vie de merde de damné.