La journée : dimanche 22 juillet 2001
Programme libre : séparation du groupe à l’entrée du grand marché de Sendaga. Visite écourtée pour Nanie, Pascal à moi à cause de commerçants pour le moins importuns… Echappée en bus vers N’gor : traversée tranquille du village, pirogue pour rejoindre l’île située juste en face ; petit snack à côté de la plage. Tour tranquille de l’île puis re-pirogue. Marche en direction des Mamelles : la plage, l’ascension du phare et la vue panoramique sur la pointe des Almadies. Retour en taxi par la côte, effervescence en plein centre de Dakar : trois heures d’attente pour voir passer le cortège des footballeurs… Retour à l’hôtel pour déguster un plat typique casaçais préparé par des amies de Loïc. Coucher de bonne heure, grosse fatigue !
Un chiffre
3 – En millions, le nombre d’habitants de l’agglomération dakaroise, qui recense près du tiers de la population sénégalaise. Combien sont-ils ce soir-là dans les rues pour fêter le passage de leurs héros footballeurs, un million, deux peut-être ? Aucune capitale occidentale ne saurait mobiliser pareillement les habitants de tout un pays, la nation entière semble communier si fort… Ici les moins de vingt ans représentent la moitié de la population, c’est toute la jeunesse qui laisse éclater sa joie, toute la vitalité du pays qui explose ce soir-là dans la nuit dakaroise.
A voir / à faire
N’gor, un village et une île – Loin de l’ambiance pesante voire malsaine du centre ville de Dakar, N’Gor-village vient nous apporter une vision réconfortante de l’Afrique. On y déambule sereinement, accueilli par les regards bienveillants des habitants et par les sourires des gamins qui viennent nous toucher les mains… Un p’tit tour de pirogue au départ de la plage permet de gagner le calme de l’île située juste en face. Un lieu à la fois paisible et très animé, la plage y est “noire de monde” ! Dans cette belle ambiance africaine, je me sens vraiment en vacances, qu’on est bien loin de l’agitation de Dakar…
Le phare des Mamelles et la pointe des Almadies – La plage de sable des Mamelles est accueillante et assez peu fréquentée, nous ne prenons pourtant pas le temps de nous y baigner pour privilégier l’ascension de la petite colline qui mène au phare par un drôle de petit chemin. Le phare des Mamelles domine toute la presqu’île, le panorama est somptueux : on y retrouve la pointe des Almadies (le point le plus occidental de l’Afrique), N’Gor, l’aéroport et de l’autre côté, les immeubles de Dakar en face de l’île de Gorée. Excursion sympa !
Souvenirs-sourires…
Trois toubabs égarés ? – Je fuis Sendaga avec Nanie et Pascal pour gagner la gare routière ; quelques vieux sénégalais très serviables nous indiquent le bus à prendre pour rejoindre N’Gor. Sans savoir où prendre le ticket, nous montons et nous nous installons sur les derniers strapontins disponibles, dans l’allée centrale. Le tableau est amusant : nous sommes trois toubabs coincés au milieu de trente sénégalais ! Comme il est impossible de se déplacer, les tickets se paient rangée par rangée, à l’appel du contrôleur (“Cinquième rangée !”), et la monnaie circule de main en main jusqu’à l’arrière du bus… Le ticket coûte 100 francs CFA (1 franc quoi !), rien à voir avec les tarifs prohibitifs des TCL ou de la RATP ! Une demi-heure plus tard et treize kilomètres plus loin, les toubabs descendent à N’Gor…
Rencontres sourires ! – Dans le centre de Dakar, les toubabs sont constamment sollicités, agressés, bousculés… A N’Gor, nous sommes tout surpris d’être accueillis par des “bonjour” et le rituel “ça va bien ?”.
Sur l’île, après avoir philosophé face à un mur, c’est un vendeur qui nous aborde et nous renvoie notre sourire en disant “pas de problème !” lorsque nous refusons poliment ; c’est une famille qui accepte avec un immense enthousiasme que je les prenne en photo. Sur le chemin des Mamelles, le Routard à la main, c’est un homme qui nous interpelle amicalement : “ça va la France, le guide du Routard ?…” Au pied du phare, c’est Djibi, un jeune sénégalais qui engage le dialogue avec nous ; il voit en moi son “frère de toubab” et me trouve une ressemblance avec Mel Gibson ! Il cherche juste à se faire des amis, il tient à nous laisser son téléphone…
Voilà des rencontres saines et réjouissantes, voilà le visage de l’Afrique que j’aime !
Dakar fête ses héros – Nous rentrons de notre excursion vers 17 heures pour rejoindre Loïc et les autres membres du groupe afin d’aller visiter tous ensemble le marché de Soumbedioune. Mais Dakar est en effervescence, et nous demandons au taxi de nous abandonner avenue Lamine Gueye où une immense foule est déjà rassemblée : les lions viennent d’arriver à l’aéroport, ils doivent défiler sur cette avenue jusqu’au palais présidentiel ! Tant pis pour les pêcheurs de Soumbedioune, l’événement est là et pas ailleurs. Tous les Dakarois semblent s’être passé le mot, le cortège est annoncé “dans une vingtaine de minutes…”
En attendant, dans une ambiance plus folle et plus indescriptible encore que la veille, tout n’est que bruit, agitation, chants, danses et scènes de fête. Les bus sont pris d’assaut, les mobylettes défilent en formation : une seule chute provoque toute une hécatombe, trois accidents spectaculaires surviennent devant nous, apparemment sans gravité…
La nuit est tombée lorsque les deux bus de l’équipe passent enfin devant nous au bout de trois heures d’attente, accompagnés par une marée humaine en état d’ivresse !
Une ambiance
Gros malaise à Dakar (drame en 3 actes) – Une journée suffit pour goûter l’atmosphère de Dakar et se faire une idée précise des rapports qui se peuvent se créer entre touristes et autochtones…
Acte 1 : Sendaga, 9h30 – Pour déambuler plus discrètement, notre groupe s’est séparé à l’entrée du marché, et je pars avec Nanie et Pascal avec nos “sacs à ventre”. Nous n’avons pas fait trois mètres qu’un vendeur nous tombe dessus, précisant d’entrée qu’il n’est pas un guide mais un honnête commerçant désireux de nous montrer sa boutique… “On est collants comme les mouches mais on ne pique pas comme les moustiques !” Pascal se ferme d’entrée à tout dialogue tandis que je tente d’expliquer avec le sourire que nous aimerions pouvoir visiter sans être dérangés ; j’ajoute poliment que sa présence ne nous permet pas de regarder les boutiques et nous coupe l’envie d’acheter… Bientôt rejoint par un de ses collègues, nous traversons le marché sans rien regarder, harcelés par deux sangsues et au bout de la grande artère j’ai définitivement cessé d’être courtois. “On ne va pas rester, merci et au revoir”, dis-je en leur tournant le dos, pour m’entendre répondre : “si tu reviens demain, on te mange…” J’entraîne avec moi Pascal et Nanie dans une rue plus tranquille pour souffler un instant. Ils sont sur les nerfs tout autant que moi, et nous décidons à l’unanimité de quitter immédiatement cette ambiance malsaine pour rejoindre la quiétude d’N’Gor.
Malheureusement… en remontant le marché en direction de la gare routière, nous croisons à nouveau le second commerçant (le plus agressif des deux), qui commence à nous invectiver. Toute tentative de discussion semble vaine, nous accélérons le pas. L’individu ne supporte ni nos silences ni nos réponses… Son discours n’est qu’un ramassis d’arguments tout faits visant à nous culpabiliser : “vous ne vous intéressez pas au travail des sénégalais… vous n’avez rien à faire ici… vous feriez mieux de reprendre l’avion tout de suite… vous êtes racistes !… ” (qui est le plus intolérant des deux ?). Très très mal à l’aise, je tente d’apaiser la situation mais il m’impose le silence, il me fusille de son regard haineux, menace même de me frapper… Il finit par me traiter de “sale blanc” et nous quitte en me crachant au visage… Fin de l’acte 1.
Acte 2 : avenue du président Lamine Gueye, 17h – Falou et Sihar nous abordent amicalement alors que nous attendons le passage du bus des joueurs. Ces deux jeunes sénégalais d’environ 25 ans parlent très bien le français, et les échanges sont agréables ; nous apprécions leur gentillesse, leur disponibilité et leur attention. Encore des rencontres riches ! Je m’entends particulièrement bien avec Sihar, avec qui je parle en toute liberté de voyages, de rencontres, du Sénégal et de ses habitants. Sihar écoute avec intérêt, acquiesce, complète avec son point de vue ; la relation devient vite amicale, quelque chose de fort passe entre nous. Nous venons de deux univers très différents et pourtant nous nous comprenons instantanément. “Noir ou blanc, c’est le même sang qui coule dans nos veines…” Son discours est plein de sagesse et d’humanisme. Il me dit qu’il voit en moi une âme généreuse et de grande valeur ; il me parle bientôt de sa famille, de son bébé qui doit être baptisé le lendemain, des rituels musulmans… Il me parle du cauris, ce coquillage qui servait de monnaie dans l’ancienne Afrique, qui doit être offert à une personne rare avant un baptême pour porter chance au nouveau-né. Lorsqu’il m’abandonne un instant, je comprends qu’il part en chercher un pour m’en faire cadeau, faisant un peu de moi le parrain de son fils ! Il revient au bout de quelques minutes, le précieux bijou en main, me le tend discrètement en me redisant à quel point c’est important pour lui ; il me dit que nous sommes un peu frères désormais, que cet objet nous relie et me portera chance… Je suis très ému, c’est un immense honneur que ce jeune sénégalais vient de me faire ! Pour respecter la tradition, je lui tends discrètement un petit “billet-marabout” qui sera posé sur la tête de l’enfant lors du baptême.
Nous échangeons nos adresses, il me promet les photos du baptême en échange de celles du passage du bus des joueurs. Et puis, après le passage du cortège, Sihar et Falou tiennent à nous raccompagner jusqu’à l’hôtel. Nous nous séparons avec un immense sourire mutuel, par une poignée de mains franche et chaleureuse, pleine de promesses. Je souris en regagnant l’hôtel, en repensant à cette belle histoire que je viens de vivre… Fin de l’acte 2.
Acte 3 : maison Vieira, 23h – Pourquoi es-tu revenu Sihar, pourquoi es-tu venu tout gâcher ? Tu m’avais dit : “Ce n’est pas l’argent qui est important, c’est l’art et les gens”. Et moi je t’ai cru, je t’ai fait confiance…
Fatigué, je suis sur le point de me coucher lorsque j’entends frapper : Sihar est là, derrière la porte que j’ouvre, un peu essoufflé, visiblement embarrassé. Il m’explique qu’on lui a volé le billet… Me prendrait-il pour un imbécile ? Il bredouille, il me jure qu’il est sincère, qu’un gamin lui a pris le billet dans sa poche et me fait comprendre que je dois le remplacer, “pour le bébé”… Un rêve passe. “Non, Sihar, tu ne vas pas me faire ce coup-là, tu ne vas pas m’inventer une histoire comme ça, pas après tout ce qu’on s’est dit…” Je suis terriblement déçu, je me sens trompé, trahi, je n’en reviens pas qu’on puisse à ce point tenter d’abuser de la confiance des gens. Je croyais naïvement avoir trouvé un ami, un “frère” sénégalais ; j’étais si fier d’avoir été choisi par lui, pour son fils, il m’avait permis de réaliser une bonne action, un pur acte de générosité désintéressé… Un rêve passe. Il me jure encore devant Dieu qu’il dit la vérité ; je réponds agacé : “laisse Dieu tranquille, c’est une histoire entre toi et moi…” Je finis pourtant par lui donner un second billet (pourquoi ?), sans trop savoir ce que je fais, en tentant de me convaincre qu’il ne ment pas, mais je ne suis pas dupe… Je ne crois plus à sa sincérité, Sihar n’est qu’un imposteur, un voleur machiavélique ; le bébé, le baptême, le cauris, les photos… du pipeau ! Je ne suis pas un ami pour lui, je ne suis qu’une “vache à lait”, un porte-monnaie…
J’étais si fier d’être ton frère
Avec l’amertume tu me perds
Mais tu m’auras appris
Avant de disparaître
Qu’en perdant un ami
On peut gagner un traître…
(Calogero/Charts)
Si tu n’étais pas revenu Sihar, même si tu m’avais menti et que toute ton histoire de baptême n’était qu’une manoeuvre pour me soutirer un billet, j’aurais été heureux, tu m’aurais laissé l’espoir d’avoir accompli quelque chose de bien, tu m’aurais fait cadeau en échange d’un beau souvenir, d’une belle histoire. Mais tu es revenu…
Je referme la porte contrarié et terriblement déçu, je m’en veux d’avoir été si naïf, si crédule. Je dormirai très mal cette nuit-là, en pensant à la fable Le Corbeau et le Renard :
Mon bon monsieur,
Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ;
Cette leçon vaut bien un billet, sans doute ?”
Maître Cyril, honteux et confus
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus…
Epilogue – Il y a des gens qui se méfient de tout et de tout le monde, qui se protègent en permanence pour s’éviter les désillusions : je ne suis pas de ces gens-là. Je suis naïf et benêt, je crois à la sincérité des gens et à leur honnêteté, je ne sais pas être autrement. C’est vous dire la claque que j’ai prise ce jour-là !
S’il est un peu facile de généraliser à partir de ces deux rencontres malheureuses, je ne peux m’empêcher de penser qu’elles reflètent assez bien la réalité des échanges de la cité dakaroise. Les rapports entre autochtones et touristes sont faussés dès le départ par le rapport à l’argent, aucun contact positif ne peut être envisagé dès lors que les blancs ne sont considérés que pour leur porte-monnaie… Voilà sans doute l’une des conséquences les plus néfastes du tourisme de masse dans les pays défavorisés. Je quitte Dakar avec un goût amer…
Bouilles de mômes
Réjouissante innocence de l’enfance… – Nous entrons dans N’Gor sur la défensive, craignant de nouvelles sollicitations. Des enfants sont les premiers à remarquer notre présence, ils viennent à notre rencontre. Vont-ils demander une pièce, ou un cadeau ? Un petit bout tend la main vers Pascal, et je me demande comme Nanie s’il va oser la saisir… C’est gagné ! Les mômes rigolent en nous touchant les mains… La même scène se reproduit au phare des Mamelles, où Nanie et moi recevons chacun une fleur offerte par deux enfants. Qu’elle est belle cette spontanéité de l’enfance, qu’elle est touchante et réconfortante cette sincérité innocente !
“Je suis de mon enfance comme d’un pays” disait St Exupéry… Pourquoi faut-il quitter cette période magique et aller se cogner à la violence du monde adulte ?
Et au menu :
Yassa poulet, kaldou et bissap – C’est à la terrasse de “chez Seck” sur l’île d’N’gor que je déguste mon premier yassa poulet (cuisiné avec des oignons marinés au citron et servi avec du riz) ; ça n’a pas l’air trop difficile à cuisiner, je me promets d’essayer à mon retour. Plus difficile en revanche de préparer un “kaldou”, le plat casaçais (à base de poisson, de légumes, de patates douces et de riz accompagné d’une sauce aux feuille de bisap) qui nous est servi par des amies de Loïc à l’hôtel. Dégusté à l’africaine – assis par terre autour du plat collectif avec juste une cuillère -, nous passons une soirée très conviviale, arrosée d’un délicieux jus de bisap (boisson très sucrée préparée à partir des fruits du bissap).