Pikine > Dakar > N’Dangane, mardi 13 juillet 2010
Ça n’en finit pas : lorsque nous arrivons en matinée à la maison Touré, le sang a encore coulé, et un nouveau mouton a été abattu. Les mouches s’en donnent à cœur joie sur la peau retournée posée sur le sable et la mare de sang, tandis qu’un gars achève de découper la carcasse à la machette.
La cour est pleine ! C’est aussi l’heure du petit déjeuner pour les invités de la veille, qui s’affairent autour des restes de plats de viande… Nous nous réfugions dans le salon de Kiné pour un un petit déjeuner plus proche de nos traditions.
Beaucoup de monde défile encore à la maison ce matin-là : le n’deup repart pour un tour… Les invités se succèdent, les salutations fusent de toutes parts.
Dehors, la rue déborde d’enfants pieds nus ou en sandales courant derrière un ballon ou un cerceau de fortune au milieu du sable parsemé de déchets en tous genres… Ce sable “tout à l’égoût” qui accueille à longueur de journée les eaux de lavage, le sang et les viscères des animaux sacrifiés, les épluchures et et les maigres restes de repas, les huiles, papiers et autres sacs plastiques, mais aussi les excréments des chats, chiens, chèvres, moutons, c’est aussi la rue, le véritable espace de vie des habitants et le terrain de jeu privilégié des enfants !
En fin de matinée, une étrange procession quitte la cour de la maison Touré. Armé d’une lance, le marabout mène la marche accompagné des musiciens, suivi par un imposant régiment de femmes aux boubous colorés. Ils rejoignent la plage de Guiedawaye où doivent avoir lieu de nouveaux sacrifices afin d’encourager les pluies de l’hivernage.
Comme la maison Touré est responsable de l’événement, Kiné est tenue d’y assister mais nous a déjà trouvé un “petit” chargé d’aller “warhaler” (négocier par la palabre) le prix d’un taxi pour la gare routière de Dakar Pompiers.
Kiné nous l’avait annoncé, il y a désormais un véritable car en partance pour Fimela/N’Dangane ! Pour le reste, rien n’a vraiment changé en gare de Pompiers où s’accumulent des centaines de véhicules en tous genres (mini cars “Diag N’Diaye”, 505 “7 places” dans des états pas possibles), en partance pour tous les coins du pays.
A la différence des taxis-brousse qui ne partent qu’une fois complets, notre car est censé partir à horaire fixe : 14 heures. Une vraie révolution ! Mais à 12h30, le car n’est qu’à moitié plein et je me demande si le chauffeur partira réellement avec autant de sièges vides… Je ne vois pas comment trouver 25 voyageurs en partance pour Fimela/N’Dangane en une heure de temps.
Je profite de l’attente pour acheter une paire de bananes, deux journaux locaux et et pour aller prendre quelques photos de la gare depuis la passerelle. De son côté, Bichetteka éconduit un bana bana trop collant en me désignant comme son mari !…
Le car n’en est visiblement pas à son premier trajet : les sièges sont éventrés de toutes parts, et les charnières des pauvres strapontins de l’allée centrale semblent bien fatiguées. L’attente du départ est animée par le défilé des bana bana (lunettes, gâteaux, bananes, journaux, bouteilles et sachets d’eau fraîche…). Bichetteka se paie un éventail en osier (“opoukaye” ? orthographe incertaine) pour lutter contre la lourde chaleur.
A 13h50, le car est presque plein lorsque le chauffeur met une première fois le moteur en route… avant de l’éteindre cinq minutes plus tard. Mais à 14 heures pétantes, rebelote, et cette fois le car se met en mouvement pour de bon, Dieu est grand, Allahmdoulillah !
Ne pas s’enflammer non plus : vu le nombre de véhicules qui obstruent la sortie de la gare, on n’est pas encore partis. D’ailleurs, les bana bana continuent à défiler dans le car pour fourguer leur pauvre marchandise.
14h08 : Nous roulons, mais en marche arrière. Manoeuvres, manoeuvres… pour tenter de se faufiler hors de la gare.
14h16 : Nous quittons enfin Pompiers et nous engageons sur la voie rapide. La radio saoûle la quiche !
14h32 : Les arrêts se succèdent au cris des passagers sur le bas côté. Les sièges vacants sont de moins en moins nombreux. L’un des voyageurs a décidé de voyager avec un écran d’ordinateur sur les genoux – évidemment pas un écran plat. Le pire, c’est que ça le fait rire.
14h39 : Nouvel arrêt en gare de Thiaroye. Nouvelle marche arrière sur plus de 200 mètres pour s’échapper de la contre-allée, bouchée par un poids lourd.
15h19 : Rufisque… nous ne sommes toujours pas sortis de la grande banlieue dakaroise et la circulation sur ce tronçon-là reste bien pénible. Le canal qui traverse la route est toujours un immense cloaque immonde, caffi d’ordures. Le contraste avec l’immense et rutilante enseigne lumineuse de l’agence locale de l’opérateur télécom Orange est dramatiquement saisissant. La très lucrative communication à distance semble toujours plus urgente et nécessaire que des conditions d’hygiène et de santé décentes.
15h50 : Après deux heures de trajet (et un peu de pluie), nous parvenons enfin à la bifurcation de Diamnadio. Le car n’est décidément ni plus rapide, ni plus confortable, ni moins fatigant que le 7 places. C’est juste un peu moins cher.
15h51 : Que d’arrêts ! On repart de Diamnadio. Contrôle de police. On s’arrête.
16h18 : Devant nous, une jeune touriste asiatique ne cesse de glousser au téléphone.
17h30 : A Thiadiaye, pas le temps de grimper ni de ficeler deux moutons sur le toit de l’autocar. On les fait grimper à l’arrière, au milieu des passagers. L’un des moutons s’en plaint d’ailleurs. Bon nombre de passagers sont descendus, immédiatement remplacés.
“7 heures moins” : Comme Kiné nous l’avait promis nous parvenons à N’Dangane quelques minutes avant 19 heures. Cette nouvelle exactitude des horaires de transports en commun sénégalais me perturbe fortement, je regrette déjà la glorieuse incertitude d’un véritable voyage en taxi-brousse qui ne sait ni à quelle heure il va partir, ni combien de temps il mettra pour arriver à destination !
Amara a guetté le bus et vient nous accueillir dès notre descente du car. A peine le temps de traverser la route que Bichetteka se fait interpeller dans son dos par Sanou et Rama sorties de leur boutique. Mais devant nous, c’est Dya qui m’appelle en souriant ! Après l’avoir salué, Rama vient me tomber dans les bras en criant “Cyril, sama waaye !” (mon ami). J’entends mon nom prononcé doucement un peu plus loin, mais nous saluerons le reste du village quand nous aurons déposé les sacs et pris une douche méritée !
Raté : trois pas de plus et voici le grand Pape Kane qui se lève pour venir à notre rencontre (que d’émotions dans cette poignée de mains…). Encore trois pas, et voici Amadou du Pic-Boeuf. Encore trois pas et nous voici devant chez Moussa, où Khady est comme à son habitude dans le coin cuisine. Mais cette grande gamine, c’est Mame Diarra ! Et celle-ci à l’air effrontée, c’est la petite Yaya assurément…
Le Mazet, enfin… Home, sweet home ! Une vraie pièce pour s’étaler, une vraie salle de bain pour se laver, un vrai jardin pour se poser entre le chant des oiseaux, le cours paisible des eaux du Saloum et la douce rumeur du village… Ousmane (Moukeye), le fabricant de djembés nous accueille : je ne l’avais pas revu depuis mon départ il y a sept ans !
La nuit est tombée. Après avoir revêtu la tenue anti-moustiques, nous remontons vers le marché et choisissons de commencer par une Gazelle bien fraîche au Pic-Boeuf, qu’Amadou nous sert avec plaisir avec quelques “diakhtés” (arachides grilleés) réclamées par Claire. Quel calme, quel délassement, quel plaisir ! L’agitation de Pikine semble bien loin…
Amadou a installé des bougies sur les tables à la suite d’une nouvelle coupure d’électricité. Il s’assoit quelques instants avec nous pour discuter. Lorsque la lumière revient, un visage familier sort de l’ombre, tout aussi surpris que nous : c’est l’ami Ibou, le président du GIE qui gère les activités du centre de l’association.
Finalement, nous nous installons pour manger et Amadou nous livre un excellent poulet frites. Pape Kane nous rejoint un peu plus tard pour échanger quelques mots. Amadou nous offrira les gazelles (m’enfin ?!).